tg Stan: trois spectacles sinon rien

Michaël Bellon
© Agenda Magazine
08/01/2013
(Jolente De Keersmaeker & Tine Embrechts © Saskia Vanderstichele)

Dans le cadre de Toernee General, le KVS présente cette saison les moments forts de ces dix dernières années. Parmi ceux-ci figurent pas moins de trois pièces de tg Stan, la compagnie anversoise qui a du flair pour les textes de répertoire forts et le talent théâtral pour rendre ces textes de manière sagace.

Stan donne ces trois pièces - Le Chemin solitaire (1904) d’Arthur Schnitzler, Les Estivants (1905) de Maxime Gorki et Les Antigones de Jean Cocteau et Jean Anouilh - en français. Les acteurs en ont l’habitude : ils partent souvent en tournée en France avec les traductions de leurs pièces. Jolente De Keersmaeker, membre permanent de Stan, et Tine Embrechts, membre « occasionnel permanent », nous en disent plus sur ces trois projets.

Quelles sont les constantes les plus importantes dans le travail de Stan ?
Tine Embrechts : Le fait surtout que leur choix d’une certaine pièce à un certain moment n’est jamais gratuit, et puis évidemment leur méthode de travail, qui est devenue aujourd’hui celle avec laquelle je me sens le mieux.

C’est-à-dire ?
Jolente De Keersmaeker : Si nous répétons pendant huit semaines, alors nous passons les six premières ensemble autour de la table pour travailler sur le texte et le traduire. Nous avons alors plusieurs traductions existantes à notre disposition, nous parcourons chaque phrase, nous passons chaque mot en revue. Cela déclenche des discussions à tous les niveaux, sur les personnages, sur le contenu, sur ce que nous avons lu ce jour-là dans le journal. Dans un premier temps, c’est chaotique, mais à la fin, tout se cristallise.
Embrechts : En fait, tout part ici de l’amour de la langue. De cette façon, on apprend automatiquement ce que son personnage et ceux des autres renferment. Je trouve ça très concret et beaucoup moins angoissant que d’apprendre par cœur son texte dès le premier jour et de tenter ce qu’on peut.

Quel était le dernier texte sur la table ?
De Keersmaeker : Notre dernière création, c’est Les Estivants, avec laquelle nous venons de faire une tournée en France et en Grèce. C’est une pièce qui parle vraiment de nous et d’aujourd’hui. Il s’agit d’un écrivain, d’acteurs, d’une poétesse, d’un médecin et d’un homme d’affaires qui se retrouvent dans une résidence d’été et qui discutent beaucoup, mais qui se sentent surtout impuissants. Ça parle donc de l’impasse et de l’inertie où se trouve l’élite culturelle, dont nous faisons finalement tous partie. Pouvons-nous encore, en tant qu’hommes de théâtre, avoir de l’importance dans ce monde ?

Qu’est-ce que ça fait de jouer cette pièce en Grèce ?
Embrechts : Nous avons eu de nombreuses discussions à ce sujet. Est-ce permis d’aller jouer du théâtre dans un endroit qui traverse une telle crise ? Mais l’expérience là-bas a été très bonne, nous avons beaucoup parlé avec les gens et nous avons remarqué que ça avait bien du sens. Les gens disaient qu’ils disposent de tellement peu de choses auxquelles se raccrocher que ça ne leur posait pas de problème de dépenser le peu d’argent qu’ils ont pour aller au théâtre.

De Keersmaeker : Cela montre encore une fois clairement que le théâtre n’est pas un luxe mais une nourriture spirituelle. Là-bas, les gens veulent à nouveau sortir plus parce qu’ils ont besoin les uns des autres, et le théâtre, à mon avis, est encore et toujours le lieu par excellence pour cela.
Embrechts : C’était aussi réconfortant de voir à quel point les Français réagissaient à notre pièce et venaient personnellement raconter ce qui les avait marqués. Alors que Les Estivants n’est pas un texte qui donne beaucoup de réponses.
De Keersmaeker : En France, l’ambiance dans les théâtres est incroyable. Les salles sont pleines, cette tradition est vivante, il y a des débats après le spectacle...
Embrechts : On remarque aussi qu’ils réagissent beaucoup plus aux nuances de la langue et au choix des mots. Personnellement, je trouve ça très agréable de jouer en français. Rien que physiquement, c’est déjà très différent. Le français se prononce plus à l’avant de la bouche, on peut laisser les mots s’insinuer dans le public encore plus qu’en néerlandais, alors que l’anglais est beaucoup plus doux et se prononce plus à l’arrière de la bouche. Ce travail sur la langue est très plaisant.
Lorsque vous jouez Les Antigones, vous vous risquez en tant que Flamands dans le patrimoine français.
De Keersmaeker : L’Antigone d’Anouilh est un texte que beaucoup de Français dans la salle connaissent en partie par cœur. Et pourtant, nous l’avons joué là-bas beaucoup plus qu’en Belgique.
Embrechts : Je pense que nous avons la chance de ne pas porter la tradition du théâtre français et de cette pièce, ce qui est rafraîchissant pour eux. Nous sommes aussi très directs dans notre contact avec le public, qui est pour nous presque un partenaire de jeu. Au début, certains programmateurs ne voyaient pas Les Antigones d’un très bon œil, mais ils ont aussi redécouvert le texte. C’est très beau de rapprocher les versions de Cocteau et d’Anouilh. Cocteau donne la version originelle, schématique, anti-psychologique. Anouilh, lui, approfondit justement toute la psychologie.
De Keersmaeker : Antigone aborde tellement de choses : la révolte, l’individualité, moi contre le monde, le droit de ceux qui sont seuls contre l’opinion de la majorité. Et aussi le secret, car nous ne saurons jamais pourquoi Antigone s’accroche avec une telle détermination et une telle ténacité à sa conviction. Je trouve ça incroyablement beau. Ça parle aussi de l’inconscience, des choses que l’on fait dans sa vie contre toute rationalité.

Et puis vous jouez aussi Le Chemin solitaire.
De Keersmaeker : Les Estivants et Antigone parlent plus de la place de l’individu dans le monde et Le Chemin solitaire davantage de la lutte avec soi-même. Un homme a eu une liaison avec la femme de son meilleur ami. Un enfant en est né, mais la femme n’a jamais dit à son mari qu’il n’était pas le père. Lorsque la mère meurt, le vrai père raconte la vérité à son fils. On a ainsi des discussions sur ce que sont les liens familiaux, sur les amours impossibles, sur les chances ratées, sur l’intérêt personnel, sur le fait de mentir pour préserver la tranquillité, sur la mort et sur ce que c’est d’être ici sur terre. C’est une pièce très existentialiste et en fait aussi très triste, parce que les personnages ne s’en sortent pas. Ce sont tous des gens passionnés, continuellement en lutte avec eux-mêmes. C’est l’une des plus belles pièces que je connaisse.

tg Stan: Le Chemin solitaire • 8, 9, 11, 12/1, 20.30, 13/1, 15.00, €12/16, KVS_BOX Les Estivants • 16 > 19/1, 20.00, €16/19, KVS_BOL Les Antigones • 22, 24 > 26/1, 20.30, 23/1, 19.30, SOLD OUT!, Théâtre National, www.kvs.be, www.theatrenational.be

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