Thomas Gunzig : Bruce Lee, Rocky et moi

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
29/01/2014
Non, le nunchaku n’a rien à voir avec le karaté. Et en choisissant cette discipline, Thomas Gunzig ne savait pas que Bruce Lee, qu’il admirait tant, pratiquait en réalité le jeet kune do. Pas grave. Avec sa nouvelle pièce Et avec sa queue, il frappe !, l’écrivain bruxellois montre qu’un abonnement au vidéoclub, ça peut vachement aider dans la vie.

Alors que les novices se demanderont de qui ou de quel animal il peut bien s’agir, les fans de Bruce Lee auront tout de suite reconnu dans ce titre une réplique assassine du héros de La Fureur du dragon : « Quatrième cadre, le petit dragon accroche sa proie. Et avec sa queue, il frappe ! » Fans parmi les rangs desquels on peut compter Thomas Gunzig, auteur bruxellois polyvalent et omniprésent signant ici un nouveau seul en scène en forme de déclaration d’amour aux films qui ont changé le cours de son existence. En l’occurrence, des films d’arts martiaux et d’horreur.

David Strosberg a mis en scène ce spectacle, Alexandre Trocki le joue. Qui est venu chercher qui pour ce projet ?
Thomas Gunzig : David voulait monter un seul en scène avec Alexandre et il avait pensé à moi pour l’écrire. De mon côté, ça faisait longtemps que j’avais envie d’une pièce avec un personnage qui raconterait les films qu’il a aimés, donc que moi j’ai aimés.
Évidemment, il fallait trouver - et c’est toujours le plus compliqué dans les seuls en scène - la raison pour laquelle le personnage parle et à qui. Il raconte sa propre adolescence à son fils de 7 ans. Comment ça s’est mal passé et comment il a fini par trouver sa place. L’adolescence est un thème intéressant dans la littérature. C’est le moment où l’on découvre de manière parfois exacerbée toutes sortes d’émotions : l’amour, le désir, la peur... On se met à être très énervé par ses parents, qui évidemment ne comprennent rien, on a l’impression qu’on est dans un autre univers, qu’on a d’autres valeurs, qu’on nous a caché des choses voire qu’on nous a menti. Il faut trouver qui on est, ce qu’on veut. Et souvent, ça ne correspond pas du tout à ce qui a été idéalisé par les parents. Il y a toujours un moment de rupture et de grincements.

À quel point vous ressemble ce personnage ?
Gunzig : Je pense que c’est une grande généralité dans la littérature : il y a toujours des morceaux de l’auteur à l’intérieur des personnages. Mais évidemment, ce n’est jamais l’auteur lui-même, sinon ce serait autobiographique. Donc ça reste un personnage de fiction, qui n’est pas moi du tout, à qui il est arrivé des choses qui ne me sont jamais arrivées. C’est vrai qu’il y a des propos tenus là-dedans qui sont des choses qui m’ont traversé l’esprit. De toute façon, je parle dedans de films que j’ai aimés et qui je pense, dans une certaine mesure, comme pour le personnage qui parle, ont fait de moi celui que je suis aujourd’hui.

Les films d’arts martiaux vous ont amené à la pratique du karaté, et ça a changé votre vie ?
Gunzig : J’ai été élevé par des parents très prudents, très protecteurs. Des parents qui ne se disputaient pas, ou en tout cas pas devant moi, qui criaient très peu. Et donc la violence était vue comme quelque chose d’épouvantable. J’avais beaucoup de mal à aborder à la fois la violence que je sentais en moi et la violence des autres, qui est quelque chose de très présent dans les cours de récré, surtout chez les garçons je pense. Je restais tétanisé par rapport à toutes les agressions classiques auxquelles un petit garçon ou un ado doit faire face. Ce qui est un très mauvais plan parce que du coup, on a tendance à devenir un peu l’exclu, la tête de Turc. Si on est démuni de toute forme d’expression violente, on est aussi démuni par rapport à toute forme de protection de la violence des autres, et ça c’est très dangereux. Heureusement, je m’en suis sorti. Le spectacle traite de l’importance que peut représenter le fait d’avoir accès à sa propre violence. La violence n’est pas forcément quelque chose de négatif, c’est un outil qui peut être merveilleux, dont on peut se servir dans la création et dans la vie quotidienne. J’ai un souvenir émerveillé de mes premiers cours de karaté, où on m’apprenait comment frapper, crier, encaisser. Tout à coup, on s’aperçoit que prendre un coup, ce n’est pas si terrible, ça ne fait pas si mal, et qu’on peut aussi donner des coups. Le fait de se rendre compte que le corps peut servir à autre chose qu’à dormir, se nourrir et se déplacer entre la maison et l’école, c’est quelque chose de merveilleux. Et ça m’a vraiment aidé.


LE TOP 3 DES FILMS QUI ONT CHANGÉ LA VIE DE THOMAS GUNZIG
Tout comme son personnage, Thomas Gunzig a été profondément marqué par certains films. Voici son top 3.
(Taxi Driver)

1. Rocky (1976), Karaté Kid (1984) & Opération dragon (1973)
« Un package de trois films ‘sportifs’. Rocky et Karaté Kid fonctionnent presque sur le même registre : un défi sportif où on échoue au début mais qu’on finit par relever dans une compétition en public. Ce sont des films que j’ai trouvés formidables quand je les ai vus, à 12 ou 13 ans, et je peux les revoir des milliers de fois. Karaté Kid en particulier parlait d’un personnage qui me ressemblait : un pauvre petit gars amoureux de filles qui l’ignorent, dans l’ombre de types plus costauds que lui, mais qui arrive, après toute une série d’épreuves initiatiques, à se dépasser. Je trouve que quoi qu’on en dise, ce sont des films qui portent des valeurs très positives et épanouissantes. J’ajoute évidemment ici le premier film de Bruce Lee que j’ai vu : Opération dragon. J’ai éprouvé une émotion qui doit être proche de la révélation et qui m’a donné envie de m’inscrire tout de suite à des cours de karaté. J’ai compris plus tard que Bruce Lee ne faisait pas de karaté mais du jeet kune do, un art hybride qu’il a créé, dérivé d’un certain genre de kung-fu ».

2. Massacre à la tronçonneuse (1974)
« Ce film au titre très explicite avait une aura sulfureuse. J’ai été le louer au vidéoclub d’à côté sous le regard désapprobateur du monsieur et je l’ai regardé tout seul chez moi en sachant bien que je n’étais pas censé faire ça, avec ce petit goût d’interdit... J’ai été épaté parce que j’ai découvert un film vachement bien réalisé, très loin du film ‘gore pour le gore’, mal foutu, avec de mauvais comédiens, des effets spéciaux nases... Massacre à la tronçonneuse est un film extrêmement bien construit, avec une pellicule au grain sublime, des plans bien pensés, une vraie tension dramatique et un vrai climax. Un vrai grand film, qui a marqué une rupture épistémologique dans la façon de faire du cinéma et qui m’a beaucoup intéressé dans sa façon d’amener l’épouvante et de montrer la violence ».

3. Taxi Driver (1976)
« Peut-être un des films qui m’a donné envie d’écrire, parce qu’il y a une voix off formidable. C’est presque un seul en scène. Il y a ce point de vue unique de Robert De Niro, dans son monologue intérieur qui vire à la folie. Ça m’a aussi fait découvrir et aimer une forme de musique à laquelle je n’avais pas du tout accès chez moi, une musique américaine entre le jazz et la soul. C’est aussi une ouverture sur le monde de la nuit, du sexe, de la drogue, de l’alcool, qui, surtout quand on est ado, est très intrigant. Et le film parle aussi d’une recherche maladroite de l’amour et de la sexualité. En même temps, le récit est ultra simple : celui de la dégringolade et du rachat de l’âme d’un individu ».

(Photo Thomas Gunzig © Saskia Vanderstichele)


ET AVEC SA QUEUE, IL FRAPPE ! • 4 > 8 & 11 > 15/2, 20.30, €5/7,50/10, Théâtre Les Tanneurs, Huidevettersstraat 75-77 rue des Tanneurs, Brussel/Bruxelles, 02-512.17.84, www.lestanneurs.be

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