Portret

Under The Skin: Qu'est-ce qui remue l'âme artistique de Claire Croizé?

Gilles Bechet
© BRUZZ
02/03/2022

Depuis plus de vingt ans, la danseuse et chorégraphe française Claire Croizé a élu son domicile artistique en Belgique. Elle y met en scène et en mouvements le dialogue intime et créatif entre la danse et la musique. Elle sera au Kaai avec une œuvre pour deux danseurs et un trio à cordes.

1789 clairecroize

« Pour moi, la danse c’est de la musique. Je suis fascinée par la musicalité du corps des danseurs. La musique a ce don de nous transcender, de nous transporter et de rendre visible ce qui est invisible et j’aimerais trouver cette force et cette beauté dans la danse aussi. » Dans tout son parcours chorégraphique, Claire Croizé a associé intimement danse et musique, non pas dans une lecture littérale mais dans une œuvre totale où chaque partie se nourrit de l’autre.

Pour renforcer l’intimité et la physicalité de ce dialogue entre les notes et les corps, elle a souvent fait cohabiter danseurs et musiciens sur scène. C’est le cas avec ECCE, la compagnie qu’elle codirige avec Etienne Guilloteau. Tous deux sont artistes associés au Concertgebouw de Bruges. Et c’est aussi ce qui a amené le Goeyvaerts String trio à leur demander de créer avec eux une chorégraphie autour de deux trios du compositeur américain Charles Wuorinen. Une demande qui faisait sens puisque le premier de ces trios, écrit en 1968, a été composé pour une chorégraphie aujourd’hui perdue. « C’est une musique qui n’est pas évidente et qui peut avoir un côté angoissant. Mais j’ai dit oui parce qu’au moment où je me suis plongée dedans, on était au début du confinement, j’y ai trouvé un miroir de mes émotions du moment, de cette instabilité et de cette peur de ne pas savoir ce qui allait se passer. »

Le travail de Claire Croizé repose sur de multiples couches, ce n’est pas juste la danse et la musique, il y a aussi le texte et la poésie. Pour les Duets, elle a choisi un des dialogues avec Leuco de Cesare Pavese et deux poèmes du recueil poèmes épars de Rilke. « Je demande aux danseurs de dire et de transposer le texte avec leurs mouvements. Comme chaque mot a un mouvement, ça me permet d’être très vite dans une écriture. À partir de là, je raccroche à la musique. Le texte me sert non seulement à générer le matériel, mais il devient aussi un fil rouge invisible. »

Ode à la beauté
Pour elle, le corps est comme un instrument qui résonne avec la vie émotionnelle du danseur, un instrument qui peut jouer dans le silence aussi. Par moments, elle peut demander aux danseurs de transposer dans leurs mouvements les textures de la musique comme le grincement d’un archet.

Claire Croizé aime la musique qui déplace, voire qui dérange par moments, comme celle de Charles Wuorinen. Sa chorégraphie, elle la veut généreuse et exigeante aussi. C’est une chorégraphie qui cherche la beauté sans se donner au premier regard. « Avec la dernière pièce de Wuorinen, comme je savais que la musique était difficile, j’ai très vite dit aux danseurs, il faut qu’avec la danse, on amène de la beauté. On va faire des beaux mouvements, on va faire des beaux sauts et des beaux tours. J’ai cherché une virtuosité du côté de la danse, pour compenser, ce qui pouvait passer comme ardu dans la musique. »

« Des fois, je me pose la question de savoir ce qui m’émeut encore. Et c’est toujours danser »

Claire Croizé

Rock et classique
Tout au long de son parcours chorégraphique, Claire Croizé s’est nourrie de musiques aussi diverses que celles de Bach, de Mahler, de Schönberg, mais aussi de Joy Division et de David Bowie. À l’image de cet éclectisme, son premier spectacle Blowing up associait Vivaldi et Sonic Youth. « Je ne suis pas fermée à un style musical. Je me rends compte aussi que quelle que soit la musique, mon approche est la même, ce besoin de comprendre comment la musique est générée. C’est de l’ordre de la beauté et de la puissance. Il y a quelque chose qui m’émeut, autant quand j’entends Sonic Youth qu’avec Mahler. » Mais l’émotion n’est pas toujours synonyme de création. « Je rêverais de pouvoir faire une chorégraphie sur Sonic Youth mais je n’ai pas encore trouvé le chemin pour travailler sur cette musique. »

Danseuse et chorégraphe, Claire Croizé a alterné les deux côtés de la scène tout au long de son parcours. Avec ses interprètes, il s’agit avant tout de créer un espace commun à partir de son ressenti. « Avec leur histoire, leurs corps et leurs mouvements, les danseurs m’amènent ailleurs, me font des choses que moi je ne peux pas faire, ce qui est super. Des fois, je regarde le résultat et je vois que ce n’est pas moi, ça devient un peu ‘alien’. Quand c’est moi qui danse, c’est beaucoup plus simple, parce que je n’ai pas la même technique et je n’ai plus le même âge. »

Pendant le confinement, à la demande du Concertgebouw, elle a créé une pièce avec Etienne Guilloteau, qui était un duo puisqu’il n’était pas possible de travailler avec des danseurs. La pièce est désormais devenue une pièce de groupe, où après 5 ans et demi, elle va à nouveau danser devant un public. « J’aime beaucoup la scène même si ça me fait très peur aussi. Ce n’est pas une période facile pour notre secteur. Des fois, je me pose la question : qu’est-ce qui me manque ou qu’est-ce qui m’émeut encore et qu’est-ce que j’aimerais faire encore ? Et c’est toujours danser. »

Claire Croizé en quelques dates

1979, naissance en France
2000, diplômée de P.A.R.T.S. avec la pièce Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas
2002, premier solo Blowing Up
2006, présente Affected, trois solos de femmes sur les Kintertotenlieder de Gustav Mahler
2011, présente The Last Farewell, toujours d’après Mahler, avec l’ensemble Oxalys
2012, crée Mouvement pour quatuor avec Alain Franco pour huit danseurs et une musique live jouée par la Quatuor MP4
2014, présente Primitive
2016, présente EVOL, sur des poèmes de Rainer Maria Rilke et des chansons de David Bowie
2022, présente Duet for two string trios

Iets gezien in de stad? Meld het aan onze redactie

Site by wieni