Under The Skin: Qu’est-ce qui remue l’âme artistique de Yassin Mrabtifi?

Gilles Bechet
© BRUZZ
24/02/2022

Dans son nouveau spectacle, le danseur et chorégraphe Yassin Mrabtifi, que beaucoup ont découvert avec From Molenbeek with Love, déroule un tapis rouge où les performers, comme le public, peuvent venir sublimer la multiplicité de leurs identités.

Yassin Mrabtifi en quelques dates

  • 1984, naissance à Bruxelles
  • Fin des années nonante, commence la danse hip-hop dans la Galerie Ravenstein
  • 2011, crée Insane Solidarity avec Julien Carlier
  • 2013, rejoint Ultima Vez pour Talk to the Demon
  • 2015, crée From Portici with love
  • 2015, joue dans Spiritual Unity, avec Ultima Vez
  • 2016, obtient le premier rôle pour la reprise du classique In Spite of Wishing and Wanting
  • 2017, crée son premier solo From Molenbeek With love
  • 2020, crée Birds avec Seppe Baeyens et Martha Balthazar
  • 2021, crée Categoreez

À la fin du mois de février Yassin Mrabtifi assistait à l’avant-première de Categoreez à La Louvière. Depuis les coulisses. C’était la première fois que le danseur chorégraphe n’interprétait pas sur scène un spectacle qu’il a écrit. Un sentiment bizarre. D’autant plus que le sujet lui tient particulièrement à cœur. « Ça raconte une partie de moi. Mais les interprètes qui se racontent, ils me racontent aussi. Et c’est cet équilibre qui est beau. » Categoreez évoque par la métaphore de la danse, et les sous-genres de danses nés dans la rue et dans les clubs, toutes ces catégories, ces minorités mais aussi ces chapelles, ces sous-groupes qui divisent la société.

« J’ai fait partie de certains courants et j’ai senti une catégorisation parfois assez radicale qui traverse la société. Je suis né dans une famille arabo-musulmane. Dans ma jeunesse, j’ai évolué dans différents groupes culturels, sociaux et religieux. Très vite, je me suis rendu compte qu’on peut nous mettre dans une catégorie, où on ne se sent pas très bien, et dont on est vite éjecté pour finir un peu tout seul si on ne correspond pas à tous les codes. Le seul moyen que j’ai eu de m’en sortir, c’est de m’adapter à d’autres codes, les mimer, les singer jusqu’à ce que ça fasse partie de ma personnalité à condition d’en avoir conscience, pour ne pas être esclave de la demande. Ce sont ces mécanismes dont je parle aussi. Et je pense que c’est une richesse. »

Dans Categoreez, la libération passe par le catwalk, un endroit où l’on vient s’exalter, défiler, exister. « Sur le tapis rouge, toutes les catégories peuvent se représenter chacune à leur tour. Et chacun trouve sa place. On n’est pas obligé de tous se mélanger, de tous être ensemble en même temps. Chaque groupe a besoin d’avoir son moment, son espace, son temps pour être mieux tous ensemble. »

Le caméléon
Categoreez, c’est un spectacle où les identités multiples se racontent par le corps et se retrouvent ensemble. Danseur autodidacte, Yassin Mrabtifi a trouvé dans le hip-hop une autre famille, d’autres codes, mais surtout des gestes et des mouvements qui ont prolongé son identité. « Je les ai reproduits tout seul, je les ai incorporés à mon corps. C’est ce que je fais encore. Je suis un caméléon de la danse, je voyage et j’observe. Et si le mouvement a une histoire, c’est encore plus intéressant pour moi de la comprendre, de m’en imprégner, surtout si elle me parle. »

1788 yassin mrabtifi

Ensuite, son chemin croise celui de Wim Vandekeybus. Par curiosité, il se présente à une audition chez Ultima Vez. Il est pris et il restera sept années. « Quand je suis arrivé, je montais sur scène avec mes émotions à vif. Il y a quelque chose de religieux, d’absolu, à aller sur scène pour moi. Je peux donner beaucoup, beaucoup trop. Wim a compris ça et on s’est très bien trouvés. Je pense vraiment qu’il m’a changé. Il y a eu un bel échange qui est aussi passé par des clashes et des grosses étincelles. Puis, j’ai eu besoin de quitter la compagnie pour retrouver mon chemin, même si on collabore encore pour des projets ponctuels. » C’est ainsi qu’en avril, Yassin reprendra Birds créé avec Seppe Baeyens et Martha Balthazar.

« Je pense que tout changement positif passe par une grosse douleur »

Yassin Mrabtifi

Au générique de Categoreez, le chorégraphe apparaît en tant que Yassin Payne, un pseudo qui remonte à ses premières années de hip-hop et qui est un homonyme de « pain » en anglais. « Jeune, j’étais obèse, j’étais mal dans ma peau. J’étais quelqu’un qui ne parlait pas ou très peu. »

C’était une douleur de ne pas pouvoir être soi-même, l’esprit avec le corps, de subir un racisme insidieux de la société, de l’école, sans se sentir protégé par son entourage. En réponse à ce mal-être, il cherchait les extrêmes et violentait son corps dans la danse et dans la boxe qu’il a pratiquées pour pouvoir défendre ses sœurs. Il en a résulté une hernie discale, et un an et demi de douleur aiguë, sous morphine. Et une opération. De cette douleur insensée a aussi émergé quelque chose de positif.

« Cloué sur mon lit, j’ai pratiqué une danse avec mes bras et le haut du corps. Je ne pouvais pas me lever, je n’avais rien d’autre à faire et je m’ennuyais. J’ai développé toute une gestuelle avec des codes complètement différents que maintenant je peux retranscrire dans ma chorégraphie. Je pense que les premières choses qu’on voit dans la danse, c’est le regard, les mains et les gestes. »

Les mots de la danse
Aujourd’hui, Yassin Mrabtifi a appris à maîtriser ses tentations extrêmes et à fixer des limites. « J’ai appris à dire stop à moi et aux autres. Mais je pense aussi que tout changement positif passe par une grosse douleur. » Yassin Mrabtifi est intarissable, il parle beaucoup, comme si les mots se bousculent dans sa tête. Pourtant s’il le pouvait, il se contenterait de danser. « En dansant, je peux communiquer en dix secondes tout ce que j’ai à dire en bien plus longtemps. Mais malheureusement, tout le monde ne pourrait pas le comprendre. En parlant, je dis ce qui résonne en moi. En dansant, le public lit ce qui résonne en lui et je trouve ça plus beau, mais j’ai besoin des deux. »

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