Yassin Mrabtifi combat ses démons

Patrick Jordens
© Agenda Magazine
23/09/2014
(© Danny Willems)

Pas moins de 700 candidats du monde entier étaient en lice pour décrocher une place dans Talk to the Demon, le dernier spectacle d’Ultima Vez. Mais le chorégraphe Wim Vandekeybus a choisi « quelqu’un du coin », le danseur de hip-hop trentenaire Yassin Mrabtifi, de Molenbeek.

Tout à fait par hasard, la directrice d’un centre culturel a dit à un ami danseur de Yassin Mrabtifi que Wim Vandekeybus organisait des auditions dans son port d’attache, Molenbeek. « J’ai appris ça et j’ai pensé ‘tiens, c’est dans mon quartier. Je ferais bien d’aller jeter un coup d’œil’ », dit-il en plaisantant, avec une sincérité désarmante. « La première chose qui m’a frappé quand je suis entré, c’était les espaces étincelants où les danseurs pouvaient travailler. Et ça à Molenbeek ! Alors que nous, on a cherché un garage pendant des années, ou on se contentait de 10 mètres carrés dans le métro ». Yassin Mrabtifi fait ici allusion à son passé « mouvementé » de danseur avant d’arriver chez Ultima Vez. Il a gagné ses galons dans le hip-hop et la breakdance. Au début, avec ses copains en rue, et plus tard dans une petite troupe avec laquelle il a créé plusieurs spectacles de hip-hop et fait des tournées.

Yassin Mrabtifi : Je dois ma passion pour la danse entre autres aux clips de MTV de l’époque. À 13 ans déjà, je pouvais regarder et imiter ces danseurs pendant des heures à la télé. Mes sœurs et leur amour de la danse orientale ont aussi eu une grande influence. En fait, j’ai toujours aimé faire le clown et voulu attirer l’attention. J’ai besoin qu’on m’aime. (Rires)



Tu es autodidacte ?
Mrabtifi : Complètement. Je n’ai jamais suivi de cours, la rue était la meilleure école. Notamment en participant à des battles de breakdance, qu’on organisait souvent dans la galerie Ravenstein ou à la Gare Centrale. Comme je suis costaud, ce n’était pas si évident. Mais au début, je ne voulais me mettre aucune limite. Je suis allé très loin pour ma passion. Trop loin parfois... Il y a environ cinq ans, je me suis gravement blessé au dos et pendant plusieurs mois, je n’ai plus pu bouger du tout. Pendant longtemps, j’ai gardé secret ce que je faisais. Je voulais absolument faire de la danse mon métier mais dans le milieu où j’ai grandi, ce genre de choses est impensable.

Est-ce que ça a changé maintenant que tu fais partie d’une compagnie de danse professionnelle célèbre dans le monde entier et que tu seras bientôt sur scène pendant une semaine dans ta propre ville ?
Mrabtifi : Mes amis ont des réactions diverses, mais dans ma famille, le sujet est toujours assez sensible. Pour eux, le milieu de la danse reste un monde de fous et de rêveurs, ils n’y voient pas vraiment d’avenir. Et au niveau culturel, c’est aussi problématique. Dans le sens où, dans ma communauté, la culture est fortement liée au religieux. Alors qu’en fait, ça n’a rien à voir avec la religion en soi, je trouve. Mais on aura vite tendance à confondre l’aspect artistique avec quelque chose de décadent, et le rejeter. En même temps, je pense que c’est propre à tous les milieux plutôt conservateurs, où les gens jugent souvent les choses avant de les connaître vraiment.
(© Danny Willems)

Est-ce que tu sais pourquoi Vandekeybus t’a choisi toi parmi autant de candidats ?
Mrabtifi : Eh bien... il m’a dit plusieurs fois qu’il aimait ma présence scénique, ce que je dégageais. Je crois que, en dansant dans toutes ces battles, j’ai construit une sorte de vigilance, pour réagir vite au moment même, pour pouvoir improviser. Pendant les auditions, j’ai vu beaucoup de danseurs qui étaient très bons techniquement mais qui dansaient tous plus ou moins de la même manière. Je ne voulais pas ou je ne pouvais pas accepter beaucoup de demandes, parce que mon physique ne le permettait pas. C’est aussi pour ça, parce que j’ai construit un registre unique grâce au corps qui est le mien, que je fais partie du spectacle, je pense.

Peux-tu décrire ce registre ?
Mrabtifi : J’aime bien passer d’une énergie à l’autre. De mouvements des mains et des bras très gracieux et fluides, pour lesquels je me suis inspiré de la danse orientale plus traditionnelle, à un rythme saccadé qui est lié au hip-hop, au krump et à la danse africaine. En plus, j’isole et j’explore séparément chaque partie de mon corps, chaque muscle. Mon but, c’est d’entremêler différentes sortes d’énergie. Et c’est ce que je fais pour Talk to the Demon : mêler ma propre signature avec le langage corporel que Wim recherche. Ça n’a pas toujours été facile, mais j’ai appris énormément...
(© Danny Willems)

Pour toi, le « démon » du titre, c’est qui ou c’est quoi ?
Mrabtifi : À mon avis, nous avons tous une sorte de démon en nous, c’est de cela que parle le spectacle pour moi. Ça ne doit pas être négatif en soi : il s’agit plus d’instinct, de quelque chose qui est encore brut et assez inconscient. On pourrait tout aussi bien remplacer le mot « démon » par « âme » par exemple. Quelque chose qui existait avant qu’arrive la morale. Comme c’est souvent encore le cas chez les enfants, qui peuvent pour cela être très impulsifs dans leurs réactions. Deux enfants jouent dans le spectacle et ce sont eux qui déclenchent les réactions des adultes, ce sont eux qui tiennent les rênes. Au final, c’est nous, les interprètes adultes qui devenons sous leur influence des espèces de démons, chacun avec sa propre identité. Je me transforme en une sorte de clown, mais pas un clown rigolo, plutôt un clown scabreux et trompeur. Tout est exagéré, évidemment, nous montrons des situations extrêmes pour confronter le public avec ce qui reste le plus souvent inconnu ou caché. C’est parfois très intense, après il me faut du temps pour m’en remettre. Mais c’est passionnant et libérateur.

ULTIMA VEZ: TALK TO THE DEMON • 2 > 4 & 8 > 11/10, 20.00, €13/18/22/25, KVS_BOL, Lakensestraat 146 rue de Laeken, Brussel/Bruxelles, 02-210.11.12, www.kvs.be

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