Interview

Festival des libertés: Idriss Gabel rend hommage aux valeurs africaines

Sophie Soukias
© BRUZZ
19/10/2016

Avec son documentaire Kolwezi on Air, Idriss Gabel filme le quotidien d'une ville du Katanga sous le prisme d'une télévision locale. Le réalisateur bruxellois autodidacte prouve que c’est en travaillant sur le long terme et en tissant des relations sincères avec ses sujets que l’on trouve l’émotion juste, loin de la vision trop souvent compatissante des films sur l’Afrique.

Forte tête, mauvais élève, Idriss Gabel est très tôt persuadé qu’il n’est pas fait pour l’école. Enfoncé dans la salle obscure du Musée du Cinéma qu’il fréquente assidûment, l’apprenti ébéniste à l’institut Saint-Joseph d’Etterbeek rêve qu’un jour il tournera son propre film. Bientôt une seconde passion vient compléter la première : l’Afrique, à laquelle il doit d’ailleurs son prénom – une volonté de son père qui y a vécu une partie de sa jeunesse. À 20 ans, désireux de vivre sa propre expérience du continent, il part au Burkina Faso d’où il revient « bouleversé par les valeurs profondes africaines ». Deux idées obsèdent désormais le jeune adulte : réaliser son rêve de cinéma et faire connaître une philosophie de vie qui a changé la sienne. Vingt ans plus tard, c’est chose faite avec Kolwezi on Air qui suit, sur trois ans, l’équipe de journalistes d’une télé locale de la ville de Kolwezi située dans la région minière du Katanga. Retour sur un parcours aussi exceptionnel qu’inhabituel.

Comment passe-t-on de menuisier à monteur, puis réalisateur ?
Jusqu’à ce que j’entreprenne mon voyage au Burkina Faso à l’âge de 20 ans, je me disais que je n’avais pas les capacités, pas le bon parcours pour faire un film même si j’en rêvais. En rentrant, je me suis promis d’arrêter de courir après les valeurs futiles comme l’argent et de faire ce que j’aimais vraiment. Je me suis donc lancé en autodidacte un peu à gauche à droite, par le réseau, par les rencontres et au bout de quelques années je me suis trouvé dernier assistant-monteur de la liste pour Thierry Michel, on m’a appelé parce que personne n’était libre. La collaboration s’est très bien passée et il m’a proposé de travailler sur son film Katanga Business. Par la suite, j’ai tout fait pour le convaincre de me prendre avec lui sur ses tournages au Congo. Je lui ai dit : « Écoute, t’as pas le choix, je paie mon billet et je viens avec toi » (rires).
C’est en étant sur le terrain avec Thierry Michel que vous avez appris, sur le tas, le métier de réalisateur ?
Oui, j’ai vu comment il travaillait et j’ai rencontré son réseau. C’est comme ça que j’ai fait la connaissance de Gaston Mushid, l’un des personnages de mon documentaire, qui était l’assistant-réalisateur, et le fixeur de Thierry pour le Congo. On a tout de suite sympathisé. Gaston est le directeur général de la RTMA, une chaîne de radio-télévision à Kolwezi. Il m’a proposé de venir dans sa télé pour évaluer son équipe, comme formateur. C’était en 2009. J’ai accepté et j’y ai pris goût. Gaston me disait : « C’est bien la théorie que tu donnes mais il faudrait quand même que tu ailles une fois sur le terrain avec les journalistes pour vraiment comprendre ». Au départ je ne trouvais pas ça très nécessaire mais j’ai accepté pour une journée qui fut complètement surréaliste dans ma vie. C’est là que toutes les émotions vécues en Afrique, d’abord au Burkina, sont remontées. J’ai compris que j’allais enfin pouvoir réaliser mon film sur ces valeurs africaines qui me tiennent à cœur, parce que j’avais trouvé par quel axe l’aborder.
Justement, c’est une sorte de mise en abîme. Vous filmez des journalistes qui eux-mêmes couvrent l’actualité de leur ville.
Oui, je tenais à me mettre dans le pli des journalistes. C’est un making of de la vie à Kolwezi. Les journalistes vont dans des dizaines d’endroits différents à la rencontre de la population qui a besoin d’eux pour exister, pour témoigner de ce qui se passe. Lorsqu’un crime est commis, le criminel est d’abord traîné devant la télévision avant que la police ne soit mobilisée. La RTMA émet pour un public de près de 300 000 personnes. Imaginez son impact ! La télé force la justice à faire mieux son travail et les politiques à tenir certaines promesses. J’ai été très impressionné par le courage des journalistes mais aussi par la grande maîtrise qu’ils possèdent des rouages du système et comment, par leur double langage, ils parviennent à échapper à la censure et aux renseignements tout en informant la population. Bien sûr, parfois ça marche et parfois ça ne marche pas.
Vous ne venez pas en Afrique en dénonciateur. Le justicier, ça n’est pas vous, ce sont les Congolais eux-mêmes. Ça change de la vision occidentale habituelle où les Africains occupent le rôle, passif, de victimes.
Je pense qu’il faut rompre avec ce point de vue occidental. On est souvent complètement à côté de l’Afrique. C’est pour ça que ce film est si important pour moi. J’invite à un regard différent sur l’Afrique à tous ceux qui veulent bien le voir.
Est-ce aussi pour cette raison que vous avez choisi de ne pas apparaître à l’écran alors qu’au fond, vous faites partie de l’équipe ?
En me rendant inexistant, je place le spectateur dans une situation où il n’a pas d’autre repère. Je veux que le public se retrouve dans les mêmes conditions dans lesquelles je me suis retrouvé quelques années auparavant, afin qu’il prenne cette même « claque occidentale » que j’ai reçue en découvrant l’Afrique et ses valeurs.
À la fin du documentaire, Carlo Ngombé dit dans une chronique à la radio que le peuple africain devrait inspirer non pas la compassion, mais le respect. Cette phrase ne résume-t-elle pas tout votre film ?
Oui, c’est tout à fait ça. Cette scène a une histoire particulière car, en un sens, c’est Carlo qui m’a vraiment convaincu de faire ce film. Après cette fameuse journée passée sur le terrain avec l’équipe de la RTMA, j’étais invité à une petite fête familiale. Les gens dansaient, on était là à boire une bière avec Carlo et il s’est lancé dans un monologue qui m’a transcendé. Il y était question de la capacité des Congolais à rester positifs malgré les souffrances, la pauvreté et la mort qui rôde. Je lui ai dit : « Il faut faire un film parce que ce que tu me dis là, il faut le partager ».

KOLWEZI ON AIR
Festival des Libertés, 20/10, 21.45, Théâtre national

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