Activiste de la scène hip-hop bruxelloise, Isha a déjà connu plusieurs vies avant de profiter d’une reconnaissance amplement méritée. Adoubé par les siens, le rappeur lève aujourd’hui le voile sur les dix morceaux de La Vie Augmente Vol.2, nouvel album infusé de punchlines fracassantes et d’invités sacrément doués. Rencontre avec une personnalité à double tranchant.

Un temps connu sous le pseudo Psmaker, Isha Pilipili s’est construit une solide réputation autour de son prénom. Révélé l’an dernier à la faveur du premier volet de La Vie Augmente, le rappeur bruxellois confirme à présent tous les espoirs placés en lui. Entre confessions intimes (La Maladie Mangeuse de Chair) et tube ultime (Tosma), Isha impose son style sur un deuxième volet sans temps mort. Seul derrière le micro ou accompagné des héros de la scène locale (Caballero & JeanJass, Zwangere Guy), l’artiste plante une plume affûtée dans l’encre noire. Entre légèreté et profondeur, souvenirs d’enfance et vie d’adulte, le rappeur met ses tripes au service d’un rap sans concession.

Certains pensent que je suis un adepte du double jeu. Mais c’est faux. Je suis comme ça au naturel

Isha

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Avant de vous consacrer pleinement à la musique, vous étiez employé par le Samusocial bruxellois. La gestion calamiteuse de cette association d’aide aux démunis a-t-elle précipité votre changement d’orientation ?
Isha : J’ai beaucoup donné à ce dispositif urbain de lutte contre l’exclusion. J’ai bossé avec des SDF pendant quatre ans et, jusqu’à l’année dernière, je me suis occupé de réfugiés syriens, irakiens et afghans. Dans ma vie, je me suis souvent mieux occupé des autres que de moi-même. Grâce à ce boulot, j’ai compris l’utilité que je pouvais avoir dans la société. Ceci étant, je souhaitais changer d’air depuis un moment. Les soupçons de corruption qui planent sur la direction n’ont pas joué un rôle déterminant dans ma décision. En tant que travailleur, j’étais au courant de ces pratiques frauduleuses. Quand l’affaire a éclaté dans les médias, je pense qu’aucun employé du Samusocial n’a vraiment été surpris…

Depuis quelques mois, la culture hip-hop bruxelloise s’exporte au-delà des frontières nationales. Le tube Bruxelles Arrive a révélé une véritable fourmilière artistique. Vu de l’intérieur, quel regard portez-vous sur ce mouvement ?
Isha : Quand j’ai sorti le premier volume de La Vie Augmente, une certaine euphorie s’emparait de la scène bruxelloise. C’était au printemps 2017. Un an plus tard, le phénomène a pris de l’ampleur. Aujourd’hui, le rap bruxellois est gage de qualité en Belgique, mais aussi à l’étranger. Son rayonnement ne cesse de s’amplifier. Personnellement, j’adhère totalement à l’esprit du mouvement. Nous formons une famille. Et je suis certain qu’elle va encore s’agrandir au cours des prochaines années.

Récemment, vous avez participé à la bande originale inspirée par le film Tueurs. Cette compilation regroupe la génération dorée du rap belge (Roméo Elvis, Coely, Damso, Hamza, etc.). Que retenez-vous de cette expérience dans le monde du cinéma ?
Isha : Participer à ce projet, c’était une chance unique. Sur la nouvelle scène bruxelloise, je suis un des plus anciens. Moi, j’ai grandi au contact d’un film comme La Haine, par exemple. En 1995, les patrons du rap hexagonal (Assassin, IAM, Ministère A.M.E.R… NDLR) se sont appuyés sur le scénario de ce long-métrage pour sculpter une compilation dense et ultra-générationnelle. D’une certaine manière, le cinéma a formé ma culture musicale. Pour moi, l’expérience Tueurs était donc extrêmement symbolique. C’est comme un juste retour des choses.

Vos deux albums sont estampillés La Vie Augmente. D’où vient ce titre qui résonne comme un leitmotiv ?
Isha : Il découle de LVA, un morceau issu du premier volet. Il est assez représentatif de l’ambivalence de mon univers. Au niveau des textes, déjà, on retrouve ce contraste entre le ressenti de l’enfance et le vécu de l’adulte. Les paroles, plutôt crues, côtoient une conscience sociale assez poussée. Certains pensent que je suis un adepte du double jeu. Mais c’est faux. Je suis comme ça au naturel. J’entretiens un côté sombre, réfléchi et philosophe et une face plus exubérante, dévergondée et désinvolte. De façon plus personnelle, La Vie Augmente est une phrase tirée de La Vie est Belle, un film réalisé par mon oncle, Dieudonné Mweze Ngangura. C’est un petit classique du cinéma congolais qui met en scène le chanteur Papa Wemba. Pour moi, c’était important de lui rendre hommage. Je tenais à remercier mon oncle pour tout ce qu’il a fait pour moi. Quand j’étais au creux de la vague, il m’a fait comprendre beaucoup de choses...

Récemment, le rappeur Damso s’est retrouvé au cœur d’une polémique mêlant rap et football. Il était notamment pointé du doigt pour ses textes, jugés inadmissibles par certains. Dans ce contexte, craignez-vous que vos morceaux soient mal interprétés par une partie du public ?
Isha : Traditionnellement, je lie mon écriture à des images. J’utilise les codes du rap: des mots que certains prennent pour de la vulgarité… Le rap est un genre qui passe par un vocable provoquant, ouvertement ironique et exubérant. Montrer quelqu’un du doigt et lui porter préjudice parce qu’il utilise des codes sémantiques propres à un mode d’expression, je trouve ça bas. C’est un manque d’ouverture d’esprit. Ça témoigne d’une vision sélective, bien alimentée en clichés. Nous vivons dans une société où le stéréotype est roi: un monde où l’on met souvent en avant le rappeur le plus lisse, le moins vulgaire, en se disant que ça passera mieux. On se contente du discours platonique et politiquement correct. Généralement, c’est d’un ennui profond. Mais au moins, ça n’offusque personne. Sauf que, dans les faits, le rap se joue ailleurs...

> ISHA. 12/4, 20.00, Botanique

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