Review
Score: 3 op 5

Critique théâtre: Phia Ménard détruit pour reconstruire

Gilles Bechet
13/02/2024

Le gazon est impeccable, les haies sont taillées au cordeau. Les allées de gravier bien ratissées. Un bruit étouffé de tondeuse nous rappelle par où il a fallu passer pour en arriver là. Une statue musculeuse sur son socle domine de sa hauteur ce bout de territoire normalisé, affirmation du pouvoir sur un univers sans vie. Comme sortie de sous la terre, une forme s’avance en rampant. Un short bleu, un polo rouge qui ne sont pas sans rappeler cet enfant syrien retrouvé mort sur une plage de Turquie après s’être noyé dans la Méditerranée.

L’Article 13 qui donne son nom au spectacle est celui qui garantit à tous le droit de circuler librement à l’intérieur d’un état, ainsi que le droit de quitter son pays et aussi d’y revenir. « J’avais envie d’offrir à ce petit garçon un jardin pour qu’il puisse continuer son voyage et continuer à rêver », explique Phia Ménard.

Face aux frontières qui se ferment, aux cadavres qui s’accumulent, Phia Ménard répond par une fable métaphorique, pas de paroles de révolte, mais par des gestes, des mouvements et des actes. Ceux de la danseuse chorégraphe Marion Blondeau qui incarne cet enfant au visage masqué qui rêve à d’autres horizons. Sa gestuelle non conventionnelle, organique, dérisoire parfois, est notamment inspirée par le krump.

Un spectacle étrange, pas facile d’accès, mais qui se révèle puissant une fois qu’on se laisse emporter par ses images.

C’est un corps qui vit, qui s’anime, une plante vivace, une herbe folle qui danse dans un jardin (trop) bien arrangé. La statue qui se dresse dans ce jardin bloque son horizon est aussi un obstacle à franchir pour aller plus loin.

Il ne reste plus qu’à le détruire comme on abat les idoles. Mais après la destruction vient la reconstruction et ici le spectacle entre dans une autre dimension onirique hors limites de l’espace et du temps, où le travail des lumières subtil et incarné, crée des mondes abstraits éclairés par les étoiles lointaines où les frontières sont abolies. « Face à l’impossibilité de détruire, peut-être faut-il transformer la matière, la déconstruire de l’intérieur. »

La bande-son de cette chorégraphie farouche, rétive aux identifications, distille des émotions qui passent par une valse de Khatchatourian, des chants polyphoniques, écrits par un prêtre protestant du 16e siècle contraint de fuir la France du fait de ses idées et pour finir avec le White Rabbit, l’hymne psychédélique du Jefferson Airplane.

Art.13 est un spectacle étrange, pas facile d’accès, mais qui se révèle puissant une fois qu’on se laisse emporter par ses images.

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