Julia Jacklin: femme d'aujourd'hui

Nicolas Alsteen
© BRUZZ
06/04/2019

Au bord du précipice, l’Australienne rembobine le film de sa vie amoureuse sur Crushing, un album aux charmes vénéneux. Le cœur serré, la chanteuse exfiltre ses démons dans des mélodies touchées par la grâce. La grande classe.

Pull en laine et cheveux dorés, Julia Jacklin déballe les chansons de son deuxième album. Crushing est une plongée dans les limbes de son intimité. La production renforce d’ailleurs cette sensation. Car, sur ce disque, le moindre souffle caresse l’oreille de l’auditeur, soulignant la proximité et l’authenticité des sujets abordés. Au plus près du réel, les chansons de Julia Jacklin déterrent la hache de guerre (Head Alone) et quelques émotions souillées au fil d’histoires d’amour avortées (Body, Don’t know how To Keep Loving You). Entre folk hanté et country dépoussiérée, la voix d’ange de l’Australienne s’invite aux côtés de celles d’Angel Olsen ou de Sharon Van Etten. C’est beau, touchant et, à bien écouter, assez effarant…

Vous avez passé votre enfance entre un parc national et des montagnes. Comment êtes-vous arrivée à Melbourne ?
Julia Jacklin : J’ai grandi dans les Montagnes Bleues. C’est une partie de la cordillère australienne : un récif montagneux entouré de lacs et d’une forêt d’eucalyptus. On dirait une carte postale. Gamine, pourtant, je détestais cet endroit. C’est en le quittant que j’ai compris à quel point il allait me manquer… À l’époque de mon premier album, j’ai d’ailleurs réalisé toutes mes vidéos et photos de presse dans la région de mon enfance. Le cliché qui illustre la pochette de Don’t Let the Kids Win, par exemple, a été pris là-bas. C’est comme si j’avais cherché à garder une trace, un lien avec ma vie d’avant. J’ai quitté les Montagnes Bleues pour m’inscrire en sciences politiques à l’université de Sydney. En débarquant dans la grande ville, j’ai vite compris que la vie était hors de prix. Je n’avais même pas les moyens de louer un appartement. Je me suis donc rabattue sur un garage aménagé en banlieue. Pour payer le loyer, j’ai dégoté un job dans une petite usine qui fabriquait des huiles essentielles. Avec l’argent économisé, j’ai enregistré mes premières chansons. C’est comme ça que tout a commencé. Aujourd’hui, je vis à Melbourne dans un véritable appartement.

Selon certaines rumeurs, votre première référence musicale s’appelait Britney Spears. Info ou intox ?
Jacklin : En écoutant mon nouvel album, c’est difficile d’y voir un lien. Pourtant, c’est vrai. J’étais fan de Britney Spears… comme beaucoup d’autres petites filles de mon âge. Avec du recul, je n’accorde pas un grand crédit à cette passion musicale. Par contre, sur un plan personnel, Britney Spears m’a donné confiance. Elle m’a permis de comprendre qui je voulais être en tant que femme. Récemment, j’ai sorti un clip pour la chanson Head Alone. Dans l’attitude, les poses, toute ma vidéo est sous l’influence du clip de Lucky, un des plus gros tubes de Britney.

Le morceau Head Alone, justement, est à la fois une charge féministe et un règlement de compte sentimental. Votre musique est-elle une arme pour liquider vos déceptions amoureuses ?
Jacklin : Mes chansons m’aident à comprendre ce qui a mal tourné. Mais je me concentre toujours sur mes propres émotions, sans viser quelqu’un en particulier. Alors, bien sûr, il se peut qu’une personne se reconnaisse à travers l’un ou l’autre de mes morceaux. Cela dit, je ne cherche jamais à me venger directement. Quand je traverse de mauvais moments, je les mets en musique. C’est ma façon de tourner la page et d’avancer.

Le single Body revient sur une relation amoureuse ultra-toxique. Il y est question de photos compromettantes, prises à la dérobée. Le cas évoqué embrasse le thème du harcèlement. Cette chanson s’inscrit-elle dans le mouvement #MeToo ?
Jacklin : On peut voir ce titre comme un écho aux revendications féministes. Mais ce n’était pas le but. Mes textes touchent d’abord à des expériences personnelles. Je ne mets jamais mes chansons en relation avec l’actualité. D’ailleurs, j’ai écrit Body bien avant les prémices de l’affaire Harvey Weinstein. Mes morceaux n’adoptent qu’un seul point de vue : le mien. Et il se trouve qu’il est féminin. Aujourd’hui, il semblerait que ce soit un signe fort, politique, voire radical, d’aborder les choses sous cet angle. J’adhère au mouvement #MeToo, je ne conteste pas sa légitimité. Mais je ne veux pas qu’on colle une étiquette « féministe » sur ma musique. Je ne suis pas en train de prendre position via de grandes déclarations. Je raconte mon histoire dans des chansons. Tout simplement.

Pour produire Crushing, vous avez travaillé avec Burke Reid. Récemment, cet ingénieur du son s’est distingué aux côtés de Courtney Barnett. Est-ce la raison de votre collaboration ?
Jacklin : La véritable raison, c’est Havilah, un album du groupe australien The Drones. C’est Burke Reid qui a produit ce disque de punk, blues, fabuleusement rugueux. Sur le papier, cet univers semble diamétralement opposé au mien. Dans les faits, je m’y retrouve complètement. Le chanteur de The Drones, Gareth Liddiard, accorde beaucoup d’importance aux textes. Malgré la distorsion, la production plonge l’auditeur au cœur des chansons. On peut ressentir l’énergie, écouter les paroles et les moindres défauts de fabrication. C’est exactement ce que je voulais pour Crushing. J’aime les albums qui ne trichent pas avec le son. Pour moi, un bon disque peut contenir des imperfections. Pour autant qu’elles soient authentiques, ça me va.

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