Ilyas Mettioui est auteur et metteur en scène. En alternance avec Nina Vandeweghe, il se raconte dans sa ville, naviguant entre réalité et fiction.
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NTgent
Ilyas Mettioui: ‘Il faut pouvoir traverser la tristesse à Woluwe comme à Schaerbeek’
Je peux être naïf. Mais quand mon crush devient distante puis, soudainement, me propose un rendez-vous dans un parc, je sais que ça sent la rupture. C’est nul de se séparer au printemps.
Elle m’a laissé le choix du parc. J’aurais bien choisi le parc Josaphat, mais je n’avais pas envie de croiser une connaissance avec la morve au nez, ni de déprimer à chaque fois que j’y repasserais. J’aurais pu choisir un bar mais d’abord, c’était ramadan et puis l’addition de mon malaise à celui du serveur, c’était trop.
Quitte à être déprimé, autant faire ça à Woluwe. J’ai donc orienté ma tristesse vers le parc Georges Henri. Je pense que je n’y remettrai pas les pieds de sitôt. Pas avant la prochaine rupture (ou la retraite). C’est un cimetière à la base ; ils ont littéralement récupéré les anciennes pierres tombales pour tracer des chemins entre les pelouses, on peut encore lire les noms. Parfois ils sont enterrés en couple (trop mims). Le lieu fait donc sens pour enterrer une histoire d’amour. Ce parc deviendra le cimetière de mes amours passées.
J’ai 36 ans. J’aurais préféré qu’un parc soit l’endroit où je promène les enfants (que je n’ai pas). Mais non, ce sera l’espace de l’au revoir, un abreuvoir de larmes. Oulah je m’emballe un peu. C’est ma dernière chronique pour Bruzz, ça fait trop d’adieux en même temps. J’espère un jour faire rimer amour et toujours (oui je suis ce genre de gars).
« Passé 35 ans, on commence à comprendre qui l’on est. Et quand on se retrouve à pleurer sur la pelouse d’un ancien cimetière, au fond, on sait pourquoi ça se passe comme ça »
Pour ça il me reste encore des choses à résoudre, de la maturité à engranger. C’est pas moi qui le dit, c’est elle. Elle n’a même pas dit : « c’est pas toi, c’est moi. ». Non, elle m’a poliment fait comprendre que c’était bien moi le responsable. Ma psy ne veut pas donner son avis, mais je crois qu’elle est de son côté. Ne pas prendre position, c’est prendre position. En vrai je sentais bien qu’il y avait des choses qui ne prenaient pas, que j’étais pas au niveau mais j’avais un espoir que ça bouge.
Sur la pelouse, entre les tombes, elle était très attentionnée, bien préparée, pesant chaque mot. Je dis ça sans ironie, elle m’a quitté dans « le soin », un baiser entre chaque coup de poignard. J’étais misérable. C’était terrible. Je l’aimais bien, beaucoup, peut-être même un peu plus que beaucoup. Peut-être qu’un jour on sera ami ? Ça me plairait bien.
Sincèrement, je pensais que je commençais à être prêt à relationner mais elle a jugé que non. « T’es pas disponible émotionnellement » qu’elle a dit. La sentence est tombée, fatale et définitive. Elle n’a pas laissé de porte ouverte. Elle a bien fait ça, il y a pas à dire, je l’ai trouvée encore plus géniale.
Ça serait bien que l’amour marche un jour. Parce que même les morts woluwéens en auront bientôt marre de ces épisodes bancals de télénovela bruxelloise.
Passé 35 ans, on commence à comprendre qui l’on est. Et quand on se retrouve à pleurer sur la pelouse d’un ancien cimetière, au fond, on sait pourquoi ça se passe comme ça. Et surtout on comprend qu’on ne peut pas faire l’économie de la tristesse. Il faut la traverser à Woluwe comme à Schaerbeek.
On se rend compte que, si fondamentalement, on ne change pas (comme dit Céline Dion), il est temps de changer quelque chose. Parce qu’à répéter les mêmes schémas, on passe à côté de la vie. Il faut alors prendre le temps de s’écouter, d’écouter l’autre, de s’aimer, de donner le temps à l’amour. Pour ne pas finir comme Firs dans La Cerisaie de Tchekhov qui dit : « La vie, elle a passé, on a comme pas vécu... ».
Cette chronique est très certainement ma dernière pour Bruzz. C’est aussi une rupture, entre vous et moi, d’une certaine façon. Mais contrairement à mon ex, je vais finir cette chronique en laissant une porte ouverte. Parce que ça me plairait de vous en écrire d’autres. Peut-être qu’elles seront de plus en plus joyeuses, qui sait ? C’est fini (pour l’instant). Sachez juste que ce n’est pas vous, c’est moi. C’était une belle histoire d’inventer (à moitié) des vies pour vous. Merci.
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