Sophie Soukias

Column

Ilyas Mettioui: ‘Rire de nos galères, ça a toujours été notre force’

© BRUZZ
04/03/2025

Ilyas Mettioui est auteur et metteur en scène. En alternance avec Nina Vandeweghe, il se raconte dans sa ville, naviguant entre réalité et fiction.

On se souvient toustes de l’endroit où l’on a appris à rouler à vélo. Pour moi, c’était derrière l’église des Brigittines. Enfant, je ne savais pas que c’était un théâtre. Je ne savais pas qu’on pouvait transformer la maison de Jésus pour y danser tout nu. Je ne savais pas non plus qu’un jour j’écrirais des spectacles ou que je viendrais en vélo électrique pour en voir dans cette même église.

Je pensais beaucoup de choses quand j’étais petit. Je pensais qu’on disait « les Marolles » parce qu’on était beaucoup de Marocains à y vivre. Les « Belges blancs » du quartier n’étaient pas si heureux de vivre avec nous, mais les « Belges blancs » des autres quartiers ne voulaient pas d’eux, alors on partageait l’espace. Je ne savais pas qu’un jour, l’élite de la ville se battrait pour ce même espace, mais sans nous dedans.

On partageait un style entre prolos et immigrés. On s’habillait avec des trouvailles aléatoires du marché aux puces : pull Mickey oversize, pantalons aux couleurs improbables. Pas évident à assumer, c’était bien avant que Balenciaga nous vole notre vibe.

Tanger–Bruxelles en train, faut le faire. Je pense à mon père. Arrivé de nuit à gare du Midi, il a l’adresse d’un pote qui vit à Bruxelles. Il prend un taxi malgré le manque de sous. Le trajet est long et cher. Le lendemain, il ouvre les rideaux pour découvrir qu’il a dormi juste en face de la gare.

Rire de nos galères, ça a toujours été notre force. Et ça risque de nous être encore très utile dans les années à venir.

Bonheur chauffé
Avant ma naissance, les appartements de notre tour n’étaient pas équipés de douche. Sous la pression de ma mère, épuisée des bains publics, mon père promet d’en fabriquer une. Sans connaissance en plomberie, il passe des semaines dans un magasin de bricolage à poser des questions. La vendeuse finit par lui dessiner un plan pour une douche maison, version Marolles 73’. Pas de certificat de sécurité, mais un prix imbattable.

Après des semaines d’expérimentations, il réussit. Enfin, on peut prendre une douche chaude sur le balcon gelé. Alors oui, parfois, on tombe dans les pommes à cause des émanations de gaz, mais on en sort propre et requinqué.

Le bruit a circulé, et mon père a commencé à installer des chauffe-eaux pour tous les voisins, gratuitement et sans homologation. Chaque matin, l’immeuble passait du bonheur chauffé à l’évanouissement temporaire.

Je me promène souvent dans les Marolles 25’. Le quartier a changé. Il paraît que les Marolliens qui étaient propriétaires ont presque tous vendu leur maison, et avec l’argent, se sont installés sur la Costa Brava.

Je me surprends à réaliser l’évidence. Au-delà de nous habiller au marché aux puces, nous partagions une même condition, celle d’être en lutte quotidienne contre la précarité. Nous avions une cause commune, une lutte qui aurait dû nous unir. J’ai l’impression qu’on est passés à côté de quelque chose. Racisme et classisme nous ont séparés.

Je fais une pause à la plaine des Escargots, rue Blaes. Je rêve à une union des prolos et des immigrés quand un gamin sur son vélo attire mon attention. Pollution dans le nez et attitude de défi. Dans ses yeux, une force de vie brutale et fracassante. J’avais la même en moi. J’espère l’avoir encore.

Tanger–Marolles en train, faut le faire. Un jour, je fais le chemin inverse. Arrivé au vieux port de Tanger, je prends un taxi. 14 euros le trajet. Mon père (paix à son âme) rigole : « T’aurais pu venir à pied, c’est à cinq minutes ! ». Et de rajouter : « Va prendre une douche, le chauffe-eau est en panne, mais avec cette chaleur, tu n’en as pas besoin. »

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