Wunderkammer: Jérémie Amigo

Michel Verlinden
© Agenda Magazine
11/02/2016

Chaque semaine, AGENDA part à la recherche des sons et des images de Bruxelles. C’est au tour de Jérémie Amigo de nous emmener dans son appartement-atelier saint-gillois où ses minutieux dessins au portemine prennent forme.

L’atelier de Jérémie Amigo en dit long sur son œuvre fascinante. C’est d’abord le dépouillement du lieu qui marque. Deux pièces en enfilade très peu encombrées. On se trouve à mille lieues du foutoir que l’on prête habituellement aux créateurs. Ensuite, le visiteur est frappé par « l’étrange nature », un motif ultraprésent dans son travail, qui s’invite en ces lieux marqués par l’urbanité : une série de végétaux d’intérieur, mais surtout, à l’extérieur, par une sombre journée hivernale, une plante grimpante tressant à la fenêtre une couronne sans feuilles ni fleurs. Un spectacle désolant et désolé. Sous l’effet du vent, les griffes tortueuses des branches viennent rayer la vitre, comme dans un mauvais rêve signé Tim Burton. Enfin, c’est l’espace de travail à proprement parler qui étonne. Proche de la funeste fenêtre, un grand tableau sur lequel est scotchée une feuille de papier encore vierge. Tout autour, des feuilles volantes, des photos et des dessins. Également des mots et des phrases qui ne dédaignent pas l’oxymore : « Douceur d’une épine », « Se souvenir d’oublier »… L’ensemble suggère un mood board aux arcanes difficiles à pénétrer. À côté, un bureau lilliputien semble attendre qu’un enfant s’y installe. Il n’en est rien, c’est bien Jérémie Amigo en personne qui siège là au ras du sol, tel un copiste du XXIe siècle. Le matériel est réduit à sa plus simple expression, fidèle au credo d’économie de moyens qui règne ici. Soit un banal portemine et une loupe témoignant d’un trait précis dans son exécution et riche en détails.

L’homme sauvage
Sur la cheminée, deux ouvrages mis en évidence fournissent également des clés d’interprétation. Un opus sur Klimt dit le penchant ornemental que revendique Amigo : « l’utilisation du motif structure mes dessins », dit-il. Juste à côté, Wilder Mann ou la figure du sauvage de Charles Fréger en raconte davantage. Dans ce livre consacré à l’homme tribal, les images du photographe français donnent à voir un homme en fusion avec son environnement. Drapé de peaux de bêtes, coiffé de cornes, paré de feuilles et de paille, l’être humain fait corps avec l’animal envisagé comme emblème de fertilité et de renouveau. « Ce qui m’intéresse avant tout, c’est la place de l’homme dans la nature. Dans mes dessins et photos, les corps interagissent avec les éléments naturels, au point de s’y camoufler », explique l’intéressé.

À travers différents formats, dont les plus grands font 1 mètre et demi sur 2 mètres, l’ensemble de ces herbiers, corps morcelés et bestiaires virtuoses se retrouvent au cœur d’Instincts, sa nouvelle exposition de 33 pièces présentées chez Art22 Gallery. D’emblée, les références qui surgissent devant ces dessins mènent l’œil vers les écoles du Nord, particulièrement les primitifs tels que Bosch ou le Brueghel l’Ancien des Proverbes flamands. Tout comme ces derniers, Jérémie Amigo signe des compositions incroyablement détaillées. À l’exception près qu’il fait l’impasse sur la couleur, lui préférant la palette des multiples intensités du gris. Comme les maîtres flamands, il affectionne également le jeu avec les mots qu’il reporte sans fioriture sur ses dessins. « Les images m’inspirent des mots et les mots des images, je travaille souvent en écoutant des livres audio, des romans, Zola, Bukowski... c’est très éclectique. Je m’efforce néanmoins de laisser l’œuvre ouverte, afin que les phrases ne viennent pas la clore ». Parfois, ces mêmes mots sont raturés avec beaucoup d’énergie, comme « un exutoire après la longue concentration qu’exige un dessin ». C’est qu’Amigo refuse tout ce qui pourrait lui faciliter la tâche, certains dessins lui prennent jusqu’à cinq mois.

Contrairement à ce que laisse deviner son univers esthétique, Jérémie vient du Sud. « Je suis originaire de Marseille. Je me suis établi à Bruxelles en 2009 parce que j’avais envie de changer de ville. Je suis venu passer un week-end et je ne suis plus reparti. On se sent bien ici ». Surprenant est aussi son parcours car c’est dans la rue qu’Amigo a débuté, sur les murs très exactement. Issu d’une école d’art graphique, il a d’abord évolué dans l’underground marseillais avant de rompre les amarres pour une pratique appliquée et introspective qui lui va comme un gant.

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(foto: Heleen Rodiers)

L’œuvre à venir
Alors qu’il attendait la venue de la photographe et du journaliste d’AGENDA, Jérémie Amigo a ébauché ce dessin. Pas de temps mort pour lui, il entame une nouvelle série alors qu’il vient à peine de tourner la page de son précédent travail. Vingt minutes tout au plus lui ont suffi à amorcer les contours détaillés de cette carpe. Déjà, des mots se présentent à son esprit : « muet comme une carpe ». Ce n’est pas pour autant qu’il va exploiter cette piste. Il pourrait bien tout au contraire choisir d’associer le poisson au bruit et à la fureur. Tout le processus consiste à faire surgir des associations libres, « à faire remonter l’inconscient ». Il ne serait pas impossible non plus qu’il se serve de ce point de départ pour réaliser une photo. « La photographie, en ce qu’elle me donne accès à la couleur et ne nécessite pas la même attention, est pour moi une pratique complémentaire au dessin. Elle me permet de gagner en spontanéité. Grâce à elle, je sors de mon atelier et je travaille avec des modèles en chair et en os ».

Commune : Saint-Gilles
Expo : Jérémie Amigo: Instincts, 19/2 > 23/3, Art22 Gallery, www.art22.gallery

Wunderkammer

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