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Anna Calvi: la nuit de la chasseuse

Nicolas Alsteen
© BRUZZ
25/10/2018

Entre rock gothique et soul ténébreuse, l’Anglaise aux yeux azur Anna Calvi dégaine Hunter, troisième album électrique et androgyne. Voix perchée, poing levé, la chanteuse prend les armes et flingue les préceptes de la société paternaliste en dix chansons féministes et engagées.

Assise dans le recoin d’un petit troquet bruxellois, Anna Calvi passe quasi inaperçue. Discrète, réservée, elle expose ses idées d’une voix frêle et fuyante. Quand elle chante, pourtant, l’Anglaise gronde avec élégance, laissant chavirer ses émotions tourmentées sous un ciel orageux. Force de la nature séquestrée dans un corps de femme, Anna Calvi profite de son troisième album pour explorer le thème de la sexualité et dynamiter quelques clichés. Manifeste sensuel, tantôt queer et libertin, Hunter s’est dessiné à Londres en compagnie des claviers d’Adrian Utley (Portishead) et de la garde rapprochée de Nick Cave - le producteur Nick Launay et le bassiste Martyn P. Casey (The Bad Seeds). Avant son passage au Botanique, Anna Calvi évoque sa passion de la chasse et nous dévoile les secrets de fabrication de son nouvel album.

Après vos deux premiers albums, vous avez pris du recul avec la scène. Pourquoi avoir attendu cinq ans avant de revenir avec ce nouveau disque ?
Anna Calvi : Je ne suis pas réglée comme du papier à musique. Si l’inspiration n’est pas au rendez-vous, pourquoi s’efforcer de sortir des chansons? J’ai attendu d’avoir des choses à raconter. Quand je me lance dans un album, j’ai besoin de me sentir investie.

Le nouvel album s’intitule Hunter. Quelle est la symbolique de ce mot ?
Calvi : Ici, j’envisage la femme comme une chasseuse. Parce que, dans nos sociétés, le rapport est inversé. Nous avons, en effet, coutume d’accepter une autre réalité. Celle où les hommes chassent les femmes. Cela se vérifie aussi bien dans les relations amoureuses que professionnelles. À travers les chansons, on suit les aventures d’une femme. Elle est maîtresse de son destin et protagoniste de sa propre histoire. Elle décide, s’affirme, recherche du plaisir et drague sans ressentir la moindre honte.

Quel est le point de départ de votre réflexion ?
Calvi : J’ai commencé à écrire Hunter lorsque je me suis installée avec ma nouvelle copine. Avant ça, j’étais restée en couple pendant huit ans. La rupture m’a beaucoup affecté. Pendant plusieurs mois, j’ai dû me reconstruire sur le plan psychologique. Alors, j’ai écouté mes sentiments les plus profonds: une petite voix, enfuie en moi, me disait de réfléchir à ma place dans la société. Les chansons parlent donc de moi. Mais elles témoignent aussi d’une période chamboulée par l’affaire Harvey Weinstein. À l’époque, il y avait de l’électricité dans l’air. J’ai essayé de capter cette tension lors de l’enregistrement. Cet album touche à des sensibilités que je partage avec des gens comme Perfume Genius ou Christine and the Queens.

Je crois le genre est une illusion

Anna Calvi

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L’année dernière, sur votre E.P. Live For Burberry, vous avez joué IT, une reprise de Christine and the Queens, justement. Comment avez-vous découvert son univers?
Calvi :Un ami m’avait conseillé de jeter une oreille à son album Chaleur Humaine. C’était juste avant qu’elle publie le disque dans sa version anglaise. Par la suite, nous avons fait connaissance lors d’un repas organisé en marge d’un défilé de mode. Christine est une fille intelligente. Sa musique est fort différente de la mienne. Mais nous partageons les mêmes opinions. Nous sommes sur la même longueur d’onde. En 2018, nos comportements sociaux ne peuvent plus être déterminés par notre genre. Avec nos chansons, nous cherchons à nous libérer des préjugés et autres stéréotypes en vigueur dans la société.

La question du genre est aujourd’hui au cœur de l’actualité. Quelle est votre opinion à ce sujet?
Calvi : Je crois que le genre est une illusion. Je pense que si nous étions capables de trouver un entre-deux, où l’on ne serait pas poussé à exceller dans la masculinité ou la féminité, nous serions tous plus libres. Je veux aller au-delà du rôle que l’on m’a assigné. Je veux explorer une sexualité plus subversive, qui va plus loin que les attentes d’une femme dans notre société patriarcale et hétérocentrée.

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La première chanson de l’album, As A Man, doit-elle se comprendre comme une réaction aux différentes vagues de harcèlement à l’encontre des femmes?
Calvi : J’ai composé As A Man bien avant l’explosion du mouvement #MeToo et des avalanches de plaintes pour agressions sexuelles dans le monde des médias et du cinéma. Dans cette chanson, je me mets en scène. Dans un premier temps, j’essaie d’appréhender le monde par le biais d’une perspective typiquement masculine. Puis, je comprends que ce n’est pas mon job. En substance, As A Man appelle à une prise de conscience: les hommes doivent intégrer la pluralité sexuelle de cette planète. Que les femmes revendiquent davantage de légitimité, en soi, c’est déjà une absurdité...

L’année dernière, votre nom était associé à l’opéra. Vous avez, en effet, composé la musique pour The Sandman, la dernière création du metteur en scène Robert Wilson. Que retenez-vous de cette expérience?
Calvi : Déjà, je retiens ma collaboration avec Robert Wilson. Il a créé des spectacles pour les opéras les plus prestigieux du monde. Depuis ses débuts, il confie la musique de ses créations à des artistes essentiels: William S. Burroughs, Allen Ginsberg, Lou Reed, Tom Waits, Laurie Anderson ou David Byrne ont, notamment, travaillé à ses côtés. C’est d’ailleurs David Byrne qui a parlé de mes chansons à Robert Wilson. Ce dernier m’a demandé de transposer ma vision de sa pièce en musique. C’était extrêmement libérateur de s’abandonner dans un récit extérieur. Car, habituellement, ma vie sert les thèmes des chansons. Dans mes disques, je dévoile une part de mon intimité. En abordant la création sous un angle complètement différent, j’ai appris à prendre du recul. C’est toujours bénéfique.

> Anna Calvi. 25/10, 19.30, Botanique

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