Bwanga Pilipili est actrice, autrice et metteuse en scène. En alternance avec Farbod Fathinejadfard, elle écrit sur la vie dans sa ville.
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Nehemie Lemal
| Bwanga Pilipili
Bwanga Pilipili: ‘T’es partie où cet été ? Une question redoutée dès le mois d’août’
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Certaines questions sont des formules magiques qui te téléportent dans le passé en un battement de cils. T’entends la question – ça marche aussi avec une chanson – et tu as de nouveau 17 ou 12 ans. Un peu comme : « Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grande ? » Quand j’entends ça, c’est plus fort que moi, mon cerveau se connecte à l’adolescence et convoque sons, images et émotions.
« T’es partie où cet été ? » Une question redoutée dès le mois d’août parce que les personnes qui me la poseront seront soit des profs qui jugeront ma syntaxe soit des héritières qui jugeront ma réponse.
150 francs le drive-in
Comment expliquer que je suis partie en restant ? Comment expliquer qu’Edwine, ma meilleure amie et moi sommes à Los Angeles quand on chille au Cinquantenaire en attendant la projection du film. Le drive-in est là, à 150 francs la séance.
Depuis mes 14 ans, l’été je bosse. Cet été si j’économise assez je vais pouvoir racheter le El Charro de Henriette et un sac Creecks. Je babysitte les 3 J (Jo, Jess et JJ), j’arrive le matin rue Jan Blockx à Schaerbeek, c’est à côté du Moby Dick. Au programme : balade, jeux, blabla. Après le repas de midi, je les ramène au quartier, tram puis bus 80 direction Woluwe-Saint-Lambert. Plus le Woluwe d’Hippocrate et pas celui de Joséphine-Charlotte, des Cerisiers ou de Gribaumont. Le Woluwe des Constellations, d’Andromède et du Cora où tu t’installes pour lire, jouer à la Nintendo et tenter de battre le record d’Oscar à Super Mario et faire les dégustations du vendredi. Le Woluwe de la marre à têtards et du salon lavoir où Natacha, Houda et Ramiza se donnent rendez-vous pour s’échanger fringues et secrets.
« Plus le Woluwe d’Hippocrate et pas celui de Joséphine-Charlotte, des Cerisiers ou de Gribaumont. Le Woluwe des Constellations, d’Andromède et du Cora »
Il fait chaud. Dans mes souvenirs, il faisait chaud mais pas trop en août. Avec les 3 J, je vais chercher Edwine, pour aller au terrain de basket du jour. Des recruteurs américains sont passés dans le quartier pour Orphée et Mike, les parents ont refusé qu’ils partent.
Les 3 J sont trop petits pour qu’on aille jusqu’au Minifoot, par contre on peut aller à Mérode. Jess adore la fontaine du Cinquantenaire, on prend une glace. JJ n’aime pas le chocolat. C’est le premier humain que je rencontre qui n’aime pas le chocolat. Il a appris à lire tout seul et cette année, comme il a été trop gâté et que ça l’a blasé, Maman Jane a fait une année sans cadeau. C’est radical ! Il joue avec des objets tout simples, genre un bic et un élastique et il partage les histoires qu’il se raconte dans la tête. J’adore l’écouter réfléchir. Jonathan est irrésistible en salopette et petit chapeau. Il ne pleure presque jamais.
New York sous les arcades
Les battles de danse ont commencé et les hollandaises sont hyper fortes. Y’a du New York sous les arcades. Tonton Pierre, alias DJ Cosmic a rapporté de nouvelles mixtapes. Retour par la rue des Tongres. Août c’est le mois du marronnier familial : le retour – ou non – au Zaïre. Je suis réinscrite à l’école mais chaque été, le doute plane.
Les Ambari et les Atteri rentrent dans 10 jours, à temps pour que Redouan me raconte les aventures du bled. Pendant l’année scolaire le papa Atteri travaille comme poubellier, c’est la seule famille qui a une caméra et quand ils partent, la voiture est chargée comme si tout le petit maga était dedans.
Il y a la Foire du Midi, mais là c’est vraiment trop loin. Je préfère le bivouac sur un banc et refaire notre monde avec Edwine. Les parents reçoivent beaucoup plus d’appels PCV, ils s’embrouillent ou s’inquiètent pour le Kivu difficile à déterminer.
T’es partie où cet été ? J’ai traversé des constellations sans sortir de Bruxelles, ça ne s’écrit pas, ça se vit.
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