Sylvie Landuyt: 'Je raconte des histoires pour élargir mes connaissances'

Sophie Soukias
© BRUZZ
16/01/2018

Interpellée par les comportements virtuels de sa fille, Sylvie Landuyt, qui avait conquis la critique en 2014 avec Elle(s), se lance dans une nouvelle création théâtrale : Do you wanna play with me?. Une photographie sans tabou des addictions générées par le web, entre actualité et anticipation. À voir en français, au KVS.

Le manque d’amour et d’affection est un mal universel qui remonte aux origines de l’humanité. Mais qu’en est-il à l'ère 2.0 ? Après Ell(e)s, un kaléidoscope anticonformiste des identités féminines, coup de cœur du Prix de la Critique en 2014 (meilleur auteur et meilleur espoir féminin), la Montoise d'origine flamande revient à l’écriture et à la mise en scène avec Do you wanna play with me?, une déclinaison des pratiques virtuelles sur fond de crise familiale.

Entre online dating, jeu de rôle et porno: mère, fils et fille semblent avoir renoncé à trouver l’épanouissement dans le réel. Au fil de ce voyage confrontant imprégné par l'univers futuriste japonais, Sylvie Landuyt en appelle subtilement et sans moralisation aucune, à retisser les liens qui nous unissent ici-bas. Voilà qui ne laissera pas indifférents les accros à notre smartphone que nous sommes.

Qu’est-ce qui a déclenché chez vous le besoin de parler de l’addiction au virtuel?
Sylvie LANDUYT
 : Quand je travaille sur un nouveau spectacle, ça démarre toujours sur quelque chose qui m’est proche, une urgence dans laquelle je m’inscris. Et donc là je me retrouve avec une adolescente, ma fille, complètement accro à son téléphone. Un jour, je la vois pleurer très fort et je finis par comprendre qu’elle est manipulée émotionnellement par une personne qu’elle n’a même jamais vue. Alors je me demande, en tant que maman, comment faire pour lui donner des armes pour se protéger que moi-même que je ne maîtrise pas. Et c’est comme ça que je commence à écrire une histoire. Ce ne sont pas des solutions mais un constat de société. Je veux qu’on délie la parole, qu’on en parle avec le public.

"C'est pourtant normal d'être attiré par la pornographie quand elle s'offre à vous"

Sylvie Landuyt

Votre fille fut votre première source d’inspiration. Quelles furent les autres ?
LANDUYT
 : Après ma fille, je me suis mise à interroger d’autres adolescents et jeunes adultes entre 18 et 25 ans sur leurs pratiques virtuelles, via mon travail de directrice du département théâtre au conservatoire de Mons, à l’occasion d’une résidence à Avignon, lors du Festival au Carré à Mons, …

Qu’est-ce qui vous a marqué dans ces échange ?
LANDUYT
 : Les jeunes adultes n’avaient pas de problème à parler de pornographie avec moi. J’ai le sentiment que le fait d’être face à un metteur en scène, ayant écrit un texte à ce sujet, les mettait en confiance. Parce que je comprenais leur univers, ou du moins j’essayais. Ce qui m’a surpris c’est que bien souvent les adultes n’essayent pas de comprendre, ils coupent court à la conversation. Leur manière d’accompagner et d’éduquer leur enfant est de les priver d’un outil mais non pas de les aider à mieux l’utiliser.

Il y a donc un sérieux problème de tabous dans nos sociétés ?
LANDUYT 
: Oui il y a une espèce de morale très forte. C’est pourtant normal d’être attiré par la pornographie quand elle s’offre à vous. Les jeunes que j’ai interrogés étaient unanimes, ils ont tous passé du temps à ça. Ils savent comment s’y prendre techniquement sans même avoir déjà fait l’amour nécessairement, ce qui ne signifie pas qu’ils savent comment aimer. Pour moi, les questions d’addiction au virtuel sont toujours liées à un manque d’amour. Il faut reconstruire des liens entre nous, prendre du temps avec nos enfants. Asseyons-nous, parlons, regardons ensemble comment on peut s’apprendre des choses mutuellement.

1598 Sylvie Landuyt

| Sylvie Landuyt

Prendre le temps, s’asseoir ensemble et regarder. Un peu comme au théâtre finalement ?
LANDUYT
 :Tout à fait (rires). C’est très drôle parce qu’il y a aussi un parallèle à faire avec les jeux virtuels. En tant que metteur en scène, je raconte des histoires pour élargir mes connaissances et c’est exactement ce que les jeunes font en RPG (Role Playing Game, ndlr), c’est très positif. Il existe aujourd’hui des auditoires qui utilisent des applications permettant d’entrer en interaction avec le prof dans une salle énorme.

Le virtuel suscite donc aussi beaucoup d’espoir ?
LANDUYT
 : En effet, on l’a vu avec les Printemps arabes.

Avec la campagne #meetoo également ?
LANDUYT
 : Oui, mais je pense qu’il ne faut pas aller trop loin. Ça peut faire bouger les choses mais à un moment donné, il faut essayer de les contenir aussi. Balancer des gens sur le net sans faire de démarches – ou avoir tenté d’en faire – dans le réel n’est pas salutaire. Cette campagne peut être un élan mais doit avoir son pendant concret dans le réel.

Votre spectacle fait place à une part d'anticipation à travers un quatrième personnage, celui d'une intelligence artificielle.
LANDUYT
 : Anticipation, oui et non parce qu’on y est déjà. Dans mon histoire, même l’intelligence artificielle a besoin qu’on passe du temps avec elle, comme un être humain, pour évoluer. La pièce est très influencée par un voyage que j’ai effectué au Japon. Je voyais tous ces concerts de musiciens virtuels projetés sous la forme d’hologrammes. C’était quelque chose d’extrêmement choquant pour moi de voir que l’on pouvait être touché par un personnage virtuel. La série d’anticipation britannique Black Mirror m’a également inspirée.

Godelieve and Clique (2011) était le fruit d’une collaboration entre le Manège de Mons et 't  Arsenaal à Malines. Aujourd’hui c’est avec le KVS que vous avez choisi de travailler. C’est important que théâtres flamand et francophone se mélangent ?
LANDUYT
 : Très important. C’est étrange parce que même dans mon cas, née de parents flamands, ayant grandi à Mons et ayant fait des études de théâtre, ce n’est que très tard que j’ai pris connaissance du théâtre flamand. Alors qu’aujourd’hui tout le monde a envie d’être reconnu en Flandre en tant qu’artiste francophone. Parce qu’il y a dans le théâtre néerlandophone quelque chose de très libre et de contemporain, et à la fois de très marqué au niveau du rapport à la religion et à la terre. Je ressens vraiment chez moi un mélange des influences. J'ai toujours eu cette envie de travailler des deux côtés.

> Do you wanna play with me? 18 > 21/1, KVS, surtitré NL & EN

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