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Emilio Azevedo

Emilio Azevedo, photographe: ‘Je m’enfonçais dans la jungle pour aller au bout des choses’

Sophie Soukias
03/10/2025
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Avec Rondônia, exposé à La Nombreuse à Saint-Gilles, Emilio Azevedo remonte une ancienne ligne télégraphique en Amazonie, fil conducteur d’un projet à la fois documentaire et intime.

Emilio Azevedo, photographe basé à Bruxelles, est entré dans la photographie pour accéder à des mondes qui lui étaient jusque-là fermés — sans se douter qu’elle raviverait aussi des mémoires personnelles. Né au Brésil, il quitte le pays à dix ans. C’est par l’image qu’il y retourne.

Alors étudiant à l’École nationale supérieure de la photographie à Arles, il mène un travail à Rio sur le rôle de l’armée sous Bolsonaro. En explorant les archives militaires, il découvre l’histoire d’une ligne télégraphique construite au début du XXe siècle à travers l’Amazonie par le général Cândido Rondon, alors sur le point de devenir un héros national.

Présentée comme un outil de « pacification » intérieure, cette ligne devient une obsession pour Azevedo et le point de départ de Rondônia (comment je suis tombé amoureux d’une ligne).

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Avec Rondônia, Emilio Azevedo explore l’histoire d’un fil télégraphique en Amazonie, mêlant archives, paysages et visages, pour interroger la relation de l’homme à la terre et aux femmes.

À partir des archives, il engage un travail documentaire sur la manière dont l’État brésilien a inventorié l’Amazonie, sa faune, sa flore, ses habitants : une entreprise froide, scientifique, visant à rendre la région exploitable. Contrairement à la colonisation chrétienne, cette conquête est portée par des termes comme « positivisme » ou « intégration ». « C’est un projet pharaonique d’installer un télégraphe en plein cœur de la forêt, un fil droit à travers une nature sauvage », dit Emilio Azevedo. « Ça rappelle un peu le Fitzcarraldo de Werner Herzog. »

En consultant les photographies anciennes, il est frappé par leur ressemblance avec sa propre pratique. Il interroge ainsi le regard du photographe, sa composition, sa distance. Des lieux tels que le musée du quai Branly, où sont conservés certains documents « donnés en cadeau, comme autant de trophées culturels », deviennent pour lui des espaces de prise de vue à part entière, au même titre que les paysages qu’il parcourt.

La panoplie du cow-boy


Au fil de ses recherches, une mémoire personnelle resurgit : l’histoire de sa grand-mère, née dans un village indigène du Goiás. « J’ai compris que j’étais le descendant d’un rapt. On me racontait cette histoire de ma grand-mère “prise au lasso” (selon l’expression). C’était dit comme une anecdote, une image un peu romantique, mais j’ai fini par percevoir la violence qu’elle recouvre vraiment. » Le projet prend alors une dimension intime inattendue.

SLT102025 Emilio Azevedo Rondonia 35

Des lieux tels que le musée du quai Branly, où sont conservés certains documents, deviennent pour Emilio Azevedo des espaces de prise de vue à part entière.

Sur le terrain, Azevedo photographie ce qui reste ou a disparu. Des espèces végétales venues d’Asie ont remplacé celles des archives. Les paysages sont désormais marqués par l’agro-industrie et l’extractivisme. Une tristesse le saisit face au contraste entre la nature luxuriante captée par les photos d’époque en noir et blanc et cette réalité altérée.

Il croise aussi des visages, comme celui d’un jeune garçon d’origine indigène dont les habits forment toute la panoplie du cow-boy — chapeau, ceinture, bottines. Ce garçon incarne à ses yeux cette hybridation complexe, mais aussi une violence intériorisée, qui réveille les fantômes de sa grand-mère enlevée comme on attrape du bétail.

Azevedo ne cherche ni à dénoncer, ni à juger. « Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre ce qui meut les hommes — au masculin — à traiter la terre et les femmes de cette manière. » Il avance seul. Parfois des jours entiers, à pied, en voiture, à suivre des lignes qu’on ne voit plus. Jusqu’à l’épuisement. « Il y a une forme de délire, de folie, pour en revenir à Herzog, oui… Je m’enfonçais dans la jungle comme s’il fallait que j’aille au bout de quelque chose. »

Aujourd’hui, il a le sentiment d’avoir atteint cette limite. « À un moment donné, on cesse de chercher, on laisse les images s’exprimer, et c’est alors qu’elles révèlent ce qu’elles avaient à nous dire. »

Emilio Azevedo expose Rondônia à La Nombreuse jusqu’au 26/10, Instagram: lanombreuse