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Photographie : Johannesburg dans l’œil de ceux qui y sont nés libres… ou presque

Sophie Soukias
© BRUZZ
09/09/2025

Alice Mann

La Fondation A s’apprête à accueillir What’s the Word? Johannesburg !, exposition dédiée à une nouvelle génération de photographes issus de la métropole sud-africaine.

Pas le Johannesburg des foires et de l’industrie internationale de l’art, qui met souvent en avant les mêmes stars — Zanele Muholi, David Goldblatt, Mikhael Subotzky, etc. — précise Émilie Demon, curatrice de l’exposition et galeriste d’Afronova, lieu visionnaire installé dans l’un des quartiers les plus vibrants de la ville. Ici, il est question d’un autre Johannesburg : celui des photographes des périphéries, restituant la ville dans toute la force brute de ce qu’ils en ressentent. Une ville où, il y a à peine trente ans, un Noir ne pouvait circuler sans laissez-passer.

L’école dans l’école

Sur les neuf artistes exposés, six ont découvert la photographie à l’école Of Soul and Joy, animée entre autres par Emilie Demon, qui y joue un rôle de mentor. Installée dans une salle de classe d’un lycée du township de Thokoza, marqué par la violence et la criminalité héritées de l’histoire, l’école est gratuite et ouverte à tous. « Ce sont les plus assidus qui restent », confie Emilie Demon. La Franco-Japonaise troquait il y a dix-huit ans Tokyo pour Johannesburg : « J’ai quitté une des villes les plus sûres du monde pour l’une des plus dangereuses. »

« Pendant l’apartheid, la photographie servait à dénoncer la ségrégation raciale et le régime. Après 1994, les artistes avaient soif de montrer leur pays au monde. Aujourd’hui, ils s’éloignent du pur documentaire »

Emilie Démon

Curatrice

Tous n’ont pas fréquenté cette école, mais tous appartiennent à une génération qui explore son histoire personnelle pour comprendre son lien à la mémoire collective. La plupart des photographes, nés après 1994, appartiennent à la génération dite « born free », même si Emilie Demon souligne que cette liberté reste très relative face à la ségrégation socio‑économique persistante. « Pendant l’apartheid, la photographie servait à dénoncer la ségrégation raciale et le régime. Après 1994, les artistes avaient soif de montrer leur pays au monde. Aujourd’hui, ils s’éloignent du pur documentaire pour aborder des questions globales : genre, violence faite aux femmes, transmission transgénérationnelle des traumatismes », note Demon. 

La violence en héritage

Parmi eux : Vuyo Mabheka mêle souvenirs d’enfance et collages où affleurent absence paternelle et violence armée ; Zwelibanzi Zwane, harcelé dans sa jeunesse, cherche la paix dans des paysages tarkovskiens empreints de mélancolie ; Sibusiso Bheka capture Thokoza au crépuscule, entre mystère et surréalisme. Dimakatso Mathopa réinterprète les codes photographiques coloniaux en cyanotypes, s’inspirant du récit de relocalisation forcée vécu par sa grand-mère, une expérience partagée par de nombreux autres Sud-Africains noirs ; Motlhoki Nono met en scène des femmes noires figées juste avant un baiser, interrogeant leur absence des récits amoureux médiatiques ;

Jabulani Dhlamini évoque le massacre de Sharpeville — terrible épisode de répression policière survenu le 21 mars 1960 — à travers de simples scènes quotidiennes ; Alice Mann célèbre la culture des majorettes dites «drummies», sport émancipateur pour certaines jeunes filles issues de communautés marginalisées ; Xolani Ngubeni met en scène une paternité vécue de l’intérieur, entre fragilité et amour profond pour sa fille ; Thembinkosi Hlatshwayo transforme la taverne familiale Slaghuis (littéralement « abattoir » en afrikaans), autrefois empreinte de violence, en un lieu chargé de mémoire.

Cinq d’entre eux feront le déplacement à Bruxelles dans le cadre de l’exposition, dont le titre, What’s the Word? Johannesburg!, est tiré d’une chanson de Gil Scott-Heron et Brian Jackson (1975), écrite en pleine apartheid. Son esprit de résistance résonne encore dans le travail des neuf photographes qui offrent un regard inédit sur Johannesburg, conscients que pour accéder pleinement à la liberté, il faut d’abord affronter les fantômes du passé.