Sophie Soukias

| Filmmaker Younes Haidar

Portret

Entre ‘nous’ et ‘eux’, le réalisateur bruxellois Younes Haidar refuse de choisir

Sophie Soukias
© BRUZZ
20/05/2025
Updated: 21/05/2025 18.57u
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Deux ans après Rupture, son premier documentaire co-réalisé avec Zohra Benhammou, le Bruxellois Younes Haidar revient avec Dag vreemde man. Cette série documentaire, à voir dès le 22 mai sur Streamz, dresse un portrait sincère et vulnérable d’un jeune réalisateur qui ne peut, ni ne veut, choisir entre « nous » et « eux ».

« Qui est Younes ? Ce que je veux savoir, c’est : qui est Younes ? » insiste Zouzou Ben Chikha, en s’adressant au réalisateur de 33 ans, né d’une mère belge et d’un père marocain.

Zouzou, figure bien connue du paysage culturel flamand, acteur et scénariste belgo-tunisien, co-fondateur de la compagnie de théâtre Action Zoo Humain, ne lâche pas l’affaire. Le piège se referme.

Pris de court, Younes Haidar bafouille. Lui qui tenait à ne pas faire un film sur lui-même se retrouve à son tour dans le champ de la caméra, contraint de justifier pourquoi, dans Dag Vreemde Man, série documentaire en trois épisodes diffusée sur Streamz, il s’est appliqué à parler de tout le monde… sauf de lui.


Ce n’était pas le deal de départ. Zouzou devait se contenter de prêter sa voix au commentaire du film. Mais il s’impose rapidement à l’écran, commente, interpelle, pousse Younes dans ses retranchements. Dag Vreemde Man devient un film dans le film, une sorte de discussion sur le making-of.

Zouzou Ben Chikha rejette les catégories rigides de « Wij » et « Zij », sur lesquelles repose pourtant le documentaire. D’un côté, les Flamands « de souche », ancrés dans leur identité, parfois jusqu’au rejet de l’autre – avec comme caricature ultime un certain Tom Van Grieken. De l’autre, les Belges d’origine marocaine, fiers de leurs racines.

Younes pensait pouvoir jouer les agents doubles, ceux qui s’infiltrent sans appartenir. Mais Zouzou fait tout exploser. À moins que ce ne soit exactement ce qui devait arriver.

Entre deux cultures

En 2023, Younes Haidar co-réalise pour BRUZZ Rupture avec Zohra Benhammou. Ils partent filmer des jeunes du quartier Peterbos, stigmatisé à l’extrême, embarqués dans une retraite au cœur des montagnes espagnoles. Là-haut, face aux sommets, un horizon s’ouvre.

Younes, lui, a grandi loin du Peterbos, dans une école catholique élitiste de Leuven. Son teint pâle et ses yeux bleus le faisaient passer inaperçu, parfaitement fondu dans le décor.

« Ça m’a fait un choc de débarquer dans un monde nouveau, qui avait pourtant quelque chose de familier »

Younes Haidar

Et pourtant, parce que ses demi-frères – enfants de deux parents marocains – subissent les mêmes discriminations que les jeunes qu’il filme, il a le sentiment de les comprendre. Il s’intègre. Il est accepté. « Ça m’a fait un bien fou qu’ils me considèrent comme l’un des leurs. »

Ce premier film l’emmène jusqu’à Agadir, sélectionné dans un festival. Il découvre un Maroc loin des clichés : une scène de jeunes cinéastes, passionnés, ultra-créatifs. « Ça m’a fait un choc de débarquer dans un monde nouveau, qui avait pourtant quelque chose de familier. »

Le Maroc, il ne le connaissait pas vraiment. Son père y retournait chaque été, seul. Sans lui. Comme si ce pays ne lui appartenait pas. Pour Younes, le Maroc était un territoire de fantasmes, de mystères. L’image qu’il s’en faisait, il la tirait de Bruxelles. Des Marocains qu’il y croisait.

Et puis, il y a eu Sonia. Une rencontre, une histoire d’amour toujours en cours. C’est elle qui lui transmet son amour du Maroc, lui montrant d’autres manières de se relier à ce pays. Ensemble, ils s’enthousiasment pour la scène culturelle contemporaine : musiques, artistes, tendances. Ils streament, suivent, s’imprègnent. L’idée germe chez Younes: en faire un film.

Il présente son projet à Streamz qui se montre séduite. La plateforme y voit l’opportunité d’un film identitaire, un genre porteur, capable de toucher un large public. Mais derrière l’enthousiasme, une attente se dessine : Younes doit apparaître à l’écran, incarner ce tiraillement entre deux cultures.

« Je n’étais pas honnête avec moi-même, et ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que j’avais fini par croire moi aussi à cette logique du “nous” et “eux”, comme si deux identités devaient forcément s’opposer. Alors que, au fond, je ne le ressens pas comme ça. »

Reprendre le micro


Dans le dernier épisode, sans doute le plus émouvant des trois, le réalisateur prend l’avion pour le Maroc. Il y cherche la nuance : des jeunes punks et métalleux se sentant parfois étrangers chez eux, des Belgo-Marocains en amour pour la terre de leurs ancêtres. Mais aussi le village de son père, où la famille lui demande : « Qu’est-ce que tu as attendu pour venir ? »


La même question que Zouzou Ben Chikha, qui prête sa voix aux images de Younes, lui pose avec une insistance à la fois bienveillante et douloureuse. « On voit bien dans le film que je ne suis pas à l’aise. Que je n’ai pas de réponse à la question », admet Younes. Et pourtant, c’est lui qui finit par reprendre le micro à Zouzou. Redevenir la voix de son propre film.


Peu à peu, le jeune réalisateur assume cette identité floue, mouvante, parfois incomprise – même par lui-même. Il reconnaît que Dag Vreemde Man n’a fait qu’entrouvrir le couvercle de sa boîte de Pandore. Il faudra peut-être du temps pour l’ouvrir tout à fait.


Ni Belge, ni Marocain. Juste un vreemde man, comme tant d’autres. Une identité en soi. Une identité à soi. Et Dag Vreemde Man, en dévoilant ses coulisses, ses doutes, ses dérapages, affirme sa force : celle d’un film sincère, en construction – à l’image de celui qui le porte.

Dag vreemde man est disponible dès le 22 mai sur Streamz, via streamz.be.

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