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Ivan Put

Charlotte Brihier: ‘Je me suis lancée dans la comédie pour me rapprocher de mon père’

Gilles Bechet
© BRUZZ
13/01/2025

Actrice bruxelloise de théâtre et de cinéma, Charlotte Brihier dévoile son premier spectacle. Elle y explore son passé et l’héritage familial de la guerre d’Algérie, tout en s’en affranchissant. « Je peux enfin mettre des mots sur tout ça. »

Un premier projet, c’est souvent excitant et compliqué à la fois. On a envie de tout y mettre, de trop y mettre. « Au moment où je me suis lancée dans cette création, c’était vraiment un besoin viscéral. Je l’avais déjà en tête il y a dix ans. C’est quelque chose dont je voulais parler, sans savoir comment ni par quel biais, et je m’y suis vraiment mise il y a quatre ans », explique la comédienne, autrice et metteuse en scène Charlotte Brihier.

Un jour, j’irai (et ce sera bien) évoque les traumatismes et les cicatrices laissées par la révolution algérienne sur elle et sa famille. Pour le spectacle, elle transpose son expérience familiale dans les personnages de Camille et de sa mère, Hayat, qui a quitté l’Algérie à l’âge de six mois. Dans la France des années septante, Hayat est constamment renvoyée à son étrangeté, à une culture et à un passé qu’elle ne connaît pratiquement pas. Ce spectacle interroge la transmission familiale, la place du passé dans le présent et la relation à l’héritage.

Colère et frustrations


Charlotte Brihier a grandi dans le Nord-Pas-de-Calais, d’une mère algérienne et d’un père français. Très tôt, elle a su qu’elle voulait devenir comédienne. « Mon père était comédien et il est décédé quand j’étais encore enfant. Comme je n’ai pas eu le temps de beaucoup le connaître, c’était une façon de me rapprocher de lui et de le découvrir. Tout est venu de là. Ensuite, je l’ai fait pour moi. »

À 15 ans, elle déménage en Belgique avec sa famille et s’inscrit à l’IAD, en section théâtre. Cette expérience la bouscule et l’aide à se construire. Elle consacre son mémoire à l’utilité du théâtre dans la construction identitaire, en s’appuyant sur des ateliers avec des adolescents.

Après ses études, elle joue dans des spectacles jeune public, mais aussi au cinéma dans Filles de joie de Frédéric Fonteyne et Anne Paulicevich, et dans La Vie pour de vrai de Dany Boon. À la télévision, on l’a vue dans Pandore et Des gens bien.

Questions sans réponses


La création de son propre spectacle a charrié beaucoup d’émotions. Son histoire familiale a éveillé en elle une grande colère. « À l’adolescence, les sentiments sont décuplés, et j’avais du mal à gérer mes émotions. Je ressentais un grand manque à cause de la disparition de mon père. Il y avait aussi de la frustration et un sentiment d’injustice, parce que ma famille avait été disloquée par la révolution algérienne. Et, par conséquent, je n’avais pas accès à tout mon héritage familial, puisque je ne parlais pas ma langue maternelle. »

Aujourd’hui, elle a pu mettre des mots sur ces émotions. Ce qui émerge dans le spectacle, ce n’est plus la colère, mais plutôt de la nostalgie, des émerveillements liés à l’enfance et de l’incompréhension face aux injustices de l’histoire. « Je travaille avec le souvenir comme outil de transmission. Certains souvenirs sont douloureux et on ne veut pas s’en rappeler, alors que d’autres nous enchantent. J’avais envie de transposer cela sur le plateau. »

En questionnant sans relâche sa mère, d’abord réticente, Charlotte a découvert des éléments enfouis. « On sent parfois qu’il y a des choses transmises par les parents malgré eux. Par exemple, ma mère a toujours eu peur de revenir en Algérie. Elle répétait souvent que l’Algérie est un pays mystérieux et dangereux. Cela m’a, moi aussi, freinée. »

Si elle n’éprouve plus de colère, il reste de la frustration, née de questions restées sans réponses. Après quatre ans de recherches et d’écriture, c’est un sentiment d’apaisement qui prédomine. « Cela m’a permis d’être en accord avec moi-même et d’accepter que je n’aurai jamais toutes les réponses. »

Charlotte sait qu’elle ne comprendra probablement jamais ce qui s’est passé lorsque ses grands-parents sont arrivés en France ou pourquoi sa mère a été abandonnée à six mois. Mais ce travail lui a prouvé que la libération de la parole est une force qui permet d’avancer. « Peut-être que des spectateurs se reconnaîtront dans cette histoire et auront envie, eux aussi, de questionner leurs parents ou leurs grands-parents. »

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