On connaît Yassin Mrabtifi (From Molenbeek With Love, Birds) comme danseur, acteur et chorégraphe, sur scène comme dans la rue. On sait moins qu’il écrit aussi des poèmes, en secret. Ses premiers textes, rédigés à l’adolescence, ont été fondateurs : ils ont nourri son refus de danser dans le sens du courant.
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Thomas Ost
La vie secrète de Yassin Mrabtifi: ‘Mon prof refusait de croire à mon poème’
« Je me suis suicidé. J’ai orchestré ma mort sociale. » Qui d’autre que Yassin Mrabtifi pour balancer une telle punchline ? Depuis ses débuts avec la troupe de Wim Vandekeybus, son solo From Molenbeek with Love, puis sa place affirmée au KVS, l’artiste bruxellois n’a cessé de surprendre.
Gros au milieu des corps sculptés pour la scène, Arabe dans des institutions découvrant à peine la diversité, il a toujours nagé à contre-marée — comme si c’était sa manière de respirer.
Quand il rejoint le KVS en 2017, « décolonisation » reste un mot de l’underground, des coulisses. Aujourd’hui, il s’est imposé dans le discours public. « La diversité est devenue une monnaie de négociation. Il n’y a plus de spontanéité. La jeunesse est utilisée pour faire du politique à son insu », déplore-t-il.
Lui choisit de sortir du « jeu institutionnel » pour mieux se retrouver. Ce retrait, c’est un retour à une passion secrète : l’écriture. Des poèmes griffonnés au bord du canal. Il n’a pas encore sa propre machine à écrire, mais c’est le plan.
Rebelle solitaire
En deuxième secondaire, viré pour la seconde fois, il se réinscrit seul dans un nouvel établissement. Pour le cours de français, il écrit un poème. Le prof le trouve magnifique — mais affirme aussitôt que ce n’est pas de lui. « Ça m’a choqué. Et fondé mon identité de rebelle solitaire. Je me suis dit : je vais leur montrer de quoi cet Arabe, supposé mal s’exprimer, est capable. »
Son inspiration vient de Molenbeek, son quartier en gentrification. Lui aussi est passé « de l’autre côté », sans vraiment y appartenir. « Je pensais que ça me mettrait en rage, mais la mixité fonctionne plutôt bien. »
Il s’installe souvent face au canal, au pied de la locomotive de la Place des Armateurs, près de Tour et Taxis. « Ça me rappelle les jeunes au Maroc, qui fixent la mer en rêvant d’Europe. Je me demande : à quoi rêvent les Bruxellois ? »
Son rêve à lui : créer une radio avec les jeunes du quartier, sans leur demander encore une fois de parler du quartier. « L’autre jour, un jeune m’a dit : c’est pas facile d’être un homme. C’est ça que j’aimerais entendre. Qu’on parle d’amour, de ce qui nous lie. »
L’eau l’apaise. Il s’y enfonce symboliquement, dans un geste de purification. « Je me suis suicidé plus d’une fois. Chaque fois que je reviens, c’est un renouveau. » Mais pour l’heure, Yassin Mrabtifi savoure sa disparition — à peine troublée par Urban Rituals, une cérémonie à la sauce d’aujourd’hui, conçue avec Einat Tuchman et Juan Cizmar, depuis Molenbeek.
Des moments de respiration et de catharsis collectives avant de replonger dans les profondeurs de ses pensées. « J’aime me dire que la mort, c’est très doux. Parce que c’est quelque chose qu’on a tous en commun. »
Les prochains Urban Rituals auront lieu le 21/6 à la station de métro Aumale, zinnema.be