Z&T, la tornade venue des Marolles: ‘Avoir le même look, ça nous rend plus fortes’

Sophie Soukias
© BRUZZ
13/01/2025

Sophie Soukias

Les pavés des Marolles résonnent encore des passages à scooter du duo de slameuses et rappeuses Z&T. Après avoir inondé les métros, les scènes ouvertes et les squats queers et féministes de Bruxelles avec leur verbe poétique et révolté, elles poseront en janvier leur deux-roues au Théâtre National pour présenter leur spectacle Beat’ume. « Notre duo est né de la colère ».

Leggings noirs, rouge à lèvres et vernis assortis, top surmonté d'une doudoune : le duo Z&T monte sur scène comme en scooter. Initiées au slam grâce au collectif Slameke, elles en sont rapidement devenues des figures incontournables, jusqu'à fonder leur propre collectif, Anti-Cyclone. Poétesses engagées, Zouz et T.A signent chacune un recueil personnel ainsi que deux collaborations : Beat'ume et Sur le boulevard (à paraître au mois de janvier). Leur spectacle s'est exporté en 2023 au Théâtre des Doms à Avignon, avant de traverser plusieurs théâtres bruxellois. Désormais, il fait halte au Théâtre National. Qu'il s'agisse de défendre les femmes, la communauté LGBTQI+ ou leur attachement à leur engin motorisé, Z&T tracent leur route avec un art des mots qui force le respect.

À en croire votre clip 'TVFQ' («Tu vas faire quoi»), vous ne faites pas la bise.
T.A : Zouz et moi, on ne se fait que des checks entre nous, jamais de bise.
Zouz : Parfois, je fais la bise aux gens que je connais. Quand t'es une meuf, t'es censée tendre la joue : on t'impose une proximité dont tu ne veux pas spécialement.
T.A : Il n'y a aucune raison pour nous, les meufs, de ne pas checker. D'ailleurs, c'est beaucoup plus pratique quand tu te déplaces en scooter avec ton casque sur la tête.

Zoner en scooter dans Bruxelles, c'est la base du duo Z&T.
T.A : Le duo s'est créé aux alentours du confinement. On zonait beaucoup en scoot ; on allait dans des squats où on pouvait encore faire des open mics. Avec toute la dimension clandestine que ça impliquait à ce moment-là.
Zouz : On aime beaucoup l'errance. Quand on sort la nuit, deux meufs sur leur scooter, on sait qu'il va nous arriver des choses. On connaît beaucoup de gens dans pas mal de quartiers, surtout dans les Marolles. On discute, les gens nous posent des questions… et on se prend des remarques sexistes aussi.
T.A : Quand j'entre dans un nightshop, on me demande parfois où est ma sœur.

« Tu n’es pas toujours en mode guerrière quand tu prends le micro. On voulait pouvoir rapper en toute tranquillité »

Zouz

Ça vous arrive souvent qu'on vous prenne pour des sœurs ?
Zouz : Dès le moment où on s'est rencontrées et qu'on a commencé à bosser ensemble, les gens se sont mis à penser qu'on était sœurs. Deux meufs avec le même style, il n'en faut pas beaucoup plus. On nous a même déjà prises pour des jumelles.
T.A : Ce n'est pas tant une question de se ressembler qu'une question d'énergie.

Ça renvoie au concept de la sororité. On peut être sœurs sans partager le même sang.
Zouz : On travaille beaucoup sur la question de la sororité. En tant que duo de slameuses, on bosse exclusivement avec des personnes FINTA. C'est-à-dire des personnes femmes, intersexes, non-binaires, trans et agenres.
T.A : Des sœurs blessées, violées, agressées nous contactent régulièrement. On a nous-mêmes traîné dans pas mal de milieux queers, féministes et militants. L'identité de notre duo est née d'une colère contre les agressions sexistes. Notre clip Chers harceleurs, merci, tourné en une journée, s'adresse à un agresseur en lui demandant de mettre fin à son harcèlement.
Zouz : Notre collectif Anti-Cyclone, créé avec des personnes FINTA, est une réaction au sexisme.

Quels ont été les fondements de ce collectif ?
T.A : On faisait beaucoup de cyphers et d'open mics de rap et on constatait la récurrence des propos sexistes et des micros arrachés. Beaucoup de personnes FINTA ne pouvaient pas prendre la parole. C'est parti d'une blague, mais on s'est retrouvées à organiser un cypher de rap dédié exclusivement aux personnes FINTA.
Zouz : Tu n'es pas toujours en mode guerrière quand tu prends le micro. On voulait créer un espace où rapper ne signifiait pas systématiquement devoir se battre contre les discriminations.

Est-ce que le milieu du slam est moins sexiste que celui du rap ?
T.A : Le slam vient de loin. Il fut un temps où le milieu du slam était tout aussi sexiste que celui du rap, mais heureusement des personnalités comme les slameuses Joy Slam et Lisette Lombé (Poétesse nationale, NDLR) sont passées par là. En Belgique aujourd'hui, le slam n'est plus associé au sexisme.

C'est lors d'un slam sauvage que le duo Z&T est né.
T.A : On était toutes les deux engagées par le collectif Slameke pour faire un slam sauvage dans le métro. On zonait dans les mêmes scènes de slam, mais on ne s'était jamais rencontrées.
Zouz : J'ai vu débarquer T.A avec sa dégaine. Et je me suis dit : c'est mon style, c'est ma vibe. Comment ça se fait que je ne la connais pas ? Et tout est parti de là.

Ce style, cette vibe, c'est quelque chose que vous entretenez à deux?
T.A : Ça nous amuse de jouer avec ça. Ce style, ça fait partie de nous, mais c'est aussi devenu notre identité artistique. On va performer sur scène avec la même tenue que celle qu'on porte pour aller faire les courses. C'est l'essence même du slam : être sur scène telles qu'on est, sans apparat et sans costume.
Zouz : Les hommes ont cette fierté inconsciente de se ressembler et de porter les mêmes tenues, le même t-shirt. Ça les rassemble sans que leur identité propre ne soit contrariée. Alors que chez les meufs, il y a cette concurrence féminine qui nous poursuit depuis des siècles, où on veut avoir un style différent pour se démarquer. Avoir le même look, c'est aussi une manière pour nous de nous renforcer, de dire qu'on fait partie de la même team.

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Sophie Soukias

| Dans les Marolles, vous avez peut-être déjà croisé Z&T en train de zoner à scooter. « On nous prend souvent pour des sœurs. C’est une question d’énergie »

La poésie, l'écriture, c'est un talent que vous avez cultivé de votre côté. Ça n'est pas l'école qui…
Zouz : … qui nous a dicté nos codes (rires). Non, ça n'est pas à l'école que la magie a opéré. On écrit sur tout et n'importe quoi depuis qu'on est toutes petites.

Pour rebondir sur cet extrait de 'La Boulette', le tube de Diam's : Vous qui avez grandi dans les années 2000, est-ce qu'une rappeuse comme Diam's a été une influence à l'époque ?
Zouz & T.A : Carrément, oui. On n'oubliera jamais ses premiers sons.
Zouz : On la porte dans notre cœur, même si parfois, elle nous embête un peu. Parce que dès que tu es une meuf et que tu rappes, on te compare à Diam's. Elle a ouvert énormément de portes, mais elle en a aussi beaucoup fermé, parce qu'on ne voyait plus qu'elle. Il y a eu un million d'autres rappeuses que Diam's dans l'histoire du rap.

On vous compare beaucoup à Diam's ?
Zouz : Régulièrement. Je comprends qu'on puisse partager une vibe. J'admire la beauté de son écriture, le fait qu'elle ait abordé des thématiques comme la violence conjugale et d'autres sujets féminins. Mais je ne me reconnais pas partout dans son parcours. Par exemple, elle avait cette volonté de ne pas se sexualiser.

Cette sexualisation de votre corps, ça fait partie de votre identité artistique ?
Zouz : Je ne vais pas parler de sexualisation, mais de performance à la féminité. Je suis dans une période de ma vie où je suis beaucoup plus à l'aise pour performer ma féminité et jouer avec les codes qui en découlent comme le maquillage et les longs ongles roses. Me sexualiser dans une performance ou dans un clip ? Je n'en suis pas encore là. Et on sait très bien, en tant que femmes artistes évoluant dans le milieu du rap, que c'est un choix lourd de conséquences, avec toute la violence et le sexisme qui en découlent. Des artistes comme Shay ou Liza Monet le font, et chapeau à elles.
T.A : Ce sont des questions qui dépassent nos corps individuels et que nous explorons constamment au sein d'Anti-Cyclone. On est en questionnements perpétuels.
Zouz : On réfléchit aussi à ce que ça signifie pour nous d'être des femmes blanches dans le milieu du rap, sachant que le rap n'a pas été créé par des personnes blanches à l'origine. Je pense que peu d'hommes blancs se posent la même question.

Vous avez commencé à slamer à la sauvage dans les rues et les squats de Bruxelles. En 2023, vous avez performé au Festival d'Avignon. En janvier, vous serez au Théâtre National. Qu'est-ce que ça représente pour Z&T de collaborer avec de grosses machines institutionnelles comme celles-là ?
T.A : On ne vient pas des institutions. On y est rentrées par des hasards et des rencontres. Avignon et le Théâtre National étaient, jusqu'à présent, des rêves qui semblaient peu accessibles. Il y a une grande envie de jouir de la reconnaissance des institutions, mais surtout le désir de montrer tout notre bagage, qui s'est accumulé en dehors de celles-ci. Qu'il s'agisse des scènes ouvertes, des squats ou de la militance, on amène ce bagage avec nous littéralement sur scène. On introduit autant que faire se peut nos ateliers de slam et notre collectif Anti-Cyclone dans les théâtres qui nous invitent.
Zouz : On peut être au Théâtre National un soir pour rencontrer des producteurs et le lendemain dans un squat à vivre la meilleure teuf de notre vie. On ne va jamais arrêter de faire ça.

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