eindejaar 2019

Artistes en résistance: 'le combat décolonial se passe en dehors de l'institution'

Sophie Soukias
© BRUZZ
20/12/2019

L'année 2019 était-elle placée sous le signe de la décolonisation des esprits ? Réponses avec l'artiste Laura Nsengiyumva, aka Queen Nikkolah, et la galeriste Anne Wetsi Mpoma qui ont choisi de mettre leurs talents respectifs au service d'une société plus égalitaire. Une société plus consciente de la violence et des conséquences de son passé colonial. "L'ouverture de l'AfricaMuseum fut le point de départ de la mobilisation."

Qui est Laura Nsengiyumva?

  • D’origine rwandaise, Laura Nsengiyumva naît à Bruxelles en 1987.
  • 2010 : sort diplômée de la section Architecture à La Cambre.
  • remporte le premier prix au Kunstsalon Ghent en 2011.
  • décroche le second prix à la Biennale de Dakar en 2012 avec son installation 1994.
  • après avoir essuyé un refus de l’AfricaMuseum, son installation PeoPL est montrée pour la première fois dans le cadre de la Nuit Blanche 2018.
  • En parallèle, elle développe le personnage de Queen Nikkolah, une réponse féministe et décoloniale à Saint-Nicolas et au Père Fouettard.

Qui est Anne Wetsi Mpoma?

  • 1976: naît à Bruxelles de parents congolais.
  • 2007: diplômée en Histoire de l’Art à l’ULB.
  • 2009: Après une expérience dans la galerie Essie Green à New York, elle cofonde l’association Nouveau Système Artistique à Bruxelles. Elle y programme des discussions sur l’art contemporain africain.
  • 2014-2018: membre du groupe des six experts de la diaspora censés accompagner la modernisation du Musée royal de l’Afrique centrale.
  • 5 décembre 2019 : ouvre sa propre galerie (Wetsi) dans l’espace Café Congo.
  • mars 2020: curatrice de l’expo Through her (True her) au CC Strombeek, réunissant des artistes afrodescendantes.

À l'heure où les créations artistiques et les événements culturels en faveur de la décolonisation des esprits prolifèrent  - au sein de nos musées, théâtres et cinémas mais aussi en marge des espaces "institutionnalisés" - et alors que la version dépoussiérée du Musée royal de l'Afrique centrale souffle sa première bougie sous le regard sceptique de l'Organisation des Nations Unies qui signait, en février dernier, un rapport négatif sur l'AfricaMuseum, un bilan de fin d'année s'impose.

Pour ce faire, BRUZZ s'est entouré de la performeuse, vidéaste et artiste plasticienne bruxelloise Laura Nsengiyumva, de retour d'une tournée festive dans les habits de Queen Nikkolah. La version féministe et décolonisée de Saint-Nicolas s'est délestée des services du Père Fouettard dont elle fait fondre à feu doux les effigies chocolatées. À ses côtés : la curatrice indépendante Anne Wetsi Mpoma, dont la galerie fraîchement ouverte s'inscrit dans une démarche entamée depuis une dizaine d'années pour promouvoir la créativité africaine.

La discussion s'est donc tenue dans la nouvelle Wetsi Art Gallery, un petit espace d'exposition encastré dans les locaux du Café Congo, niché au premier étage du Studio CityGate d'Anderlecht. Le Café underground visant la réflexion décoloniale et la rencontre entre cultures afrodescendantes fut inauguré en 2018 par la journaliste Gia Abrassart et prolongé, en novembre dernier, d'un tiers-lieu accueillant des résidences d'artistes tout au long de l'année.

1689 Laura Nsengiyumva + Anne Wetsi Mpoma

| Laura Nsengiyumva (à gauche) et Anne Wetsi Mpoma posant devant une œuvre de Bayunga Kialeuka, artiste en résidence dans le tiers-lieu culturel Café Congo.

Anne Wetsi Mpoma et Laura Nsengiyumva, vous avez fait le choix de lier votre démarche artistique à votre engagement décolonial. Était-ce une évidence depuis le départ ?
Laura Nsengiyumva : Oui. C'est la rencontre entre un message et des compétences. Cela étant dit, je ne sais pas à quel point mon engagement n'est pas, avant tout, le fruit de l'inspiration collective et de momentums. Les idées étaient là depuis longtemps mais il a fallu attendre que les solidarités se créent.
Anne Westi Mpoma: Depuis que j'ai 25 ans, je rêve d'avoir une galerie d'art mais il a fallu attendre que les conditions soient réunies. Mon espace est aussi une réponse à l'effacement des noirs dans l'histoire de l'art et dans la scène de l'art contemporain. Ça ne fait pas si longtemps que les questions de décolonisation ont fait leur entrée sur la place publique et j'ai le sentiment que la réouverture du Musée de Tervuren aura tout de même servi à ça.

Vos engagements actuels peuvent-ils être considérés comme une réponse à la nouvelle scénographie de l'AfricaMuseum ?
Mpoma: Après avoir travaillé sur l'exposition permanente (en tant que représentante de la diaspora, NDLR), mes amis me voyaient complètement désemparée. En parallèle, un symposium sur les réparations se tenait en 2017, et les milieux militants s'organisaient à l'échelle internationale. Tout ça nous a encouragés à ne plus accepter l'état des choses et à mener campagne pour faire entendre une autre voix. D'autant plus que les deux directeurs de l'AfricaMuseum racontaient partout dans la presse que le musée était décolonisé.
Nsengiyumva : Notre expérience à l'AfricaMuseum a représenté notre dernière tentative de travailler avec ce genre de pouvoir. Je suis entrée dans ce musée via ma proposition d'installation PeoPL (la fonte en plein air d'une statue équestre de Léopold II faite de glace, NDLR) qui fut d'ailleurs essuyée par cette fameuse phrase de la bouche du directeur des services aux publics : "Tu aimerais qu'on fasse fondre ton père ?". J'étais attaquée dans mon intégrité d'artiste et j'ai dû faire face à la censure. Ce musée est un outil de propagande dont le pouvoir médiatique nous a forcés à nous organiser, à créer nos propres médias.

Après avoir travaillé sur l'exposition permanente de l'AfricaMuseum, mes amis me voyaient complètement désemparée

Anne Westi Mpoma

Le combat a-t-il glissé en dehors de l'institution ?
Mpoma : Je suis de plus en plus convaincue que le combat se passe en dehors. Si on regarde dans l'histoire, c'est comme ça que les révolutions ont eu lieu, et non pas en mettant un token dans les institutions (effort symbolique destiné à créer une apparence d'inclusivité et à détourner les accusations de discrimination, NDLR).

En février dernier, un rapport de l'ONU épinglait le nouveau musée de Tervuren, invitant également la Belgique à s'excuser pour son passé colonial. Quels espoirs de telles déclarations ont-elles suscités chez vous ?
Mpoma: C'était évidemment une victoire. On ne nous voit pas comme des résistants, mais il faut souligner que ce rapport est le fruit de lobbying de la part du milieu associatif et militant de la communauté noire.
Nsengiyumva : Ce rapport m'a rassurée. Si on s'en tient aux standards belges, on n'y arrivera jamais. Il est important de comprendre que l'on s'inscrit dans un mouvement de conscientisation global. Le regard extérieur que constitue l'ONU a donné une légitimité à notre combat. Je suis personnellement très optimiste. J'ai vraiment confiance dans les gens. Surtout à Bruxelles. En tant que Queen Nikkolah, je vois le monde depuis mon trône et c'est magnifique (grand sourire).

Que voyez-vous au juste depuis votre trône ?
Nsengiyumva : (rires). Je vois Bruxelles qui chante, qui danse, de toutes les couleurs.
Mpoma : C'est vrai que ça fait partie de la réalité de Bruxelles. Mais, après, quand on rentre chez soi, on est à nouveau face à un cumul des difficultés comme la discrimination au logement et à l'emploi.
Nsengiyumva : Sans compter les difficultés qui s'ajoutent quand on est militant et activiste. Depuis mon trône, je reçois aussi des menaces de supporters du Vlaams Belang. Je ne pense pas que beaucoup d'artistes blancs vivent avec ça. On subit des pressions que les gens n'imaginent pas.

Quel regard portez-vous sur les efforts menés par un nombre grandissant d'institutions bruxelloises, comme Bozar ou le Wiels, pour décoloniser leurs espaces ?
Nsengiyumva : C'est à prendre. Mais je reste persuadée qu'il faut repenser les rapports avec ces institutions davantage comme des alliances, avec la possibilité d'organiser des événements extra-muros et de soutenir un réseau qui existe déjà, afin d'éviter la récupération et le clientélisme. Le danger qui nous guette, c'est de devenir une révolte esthétique sans obtenir des changements dans nos droits.

Laura + Anne

L'intersectionnalité est un mot qui a marqué le vocabulaire de l'année 2019 et qui est en voie d'entrer dans le langage courant. Comment envisagez-vous la convergence des luttes féministes, décoloniales et autres ?
Mpoma : Il y a des féministes qui se remettent en question et qui se rendent compte que l'intersectionnalité existe. Ces avancées auprès des féministes blanches en Belgique sont un fait et c'est positif. Mais concrètement, dans notre quotidien à nous, ça ne change absolument rien.
Nsengiyumva : Il n'y a que les femmes noires qui peuvent vraiment rééquilibrer le white male patriarchy. Et on avance. Je crois que c'est une fonte invisible à l'œil nu mais qui est inévitable.

Laura Nsengiyumva, le principe de fonte, qui est récurrent dans vos créations artistiques, fait référence à un processus chimique qui comporte un temps d'attente, voire une certaine lenteur. La décolonisation des esprits implique-t-elle de se montrer patient ?
Nsengiyumva : Mon installation PeoPL m'a appris une leçon de radicalité. J'ai dû la casser parce que la glace ne fondait pas assez vite. D'un côté, on a le processus naturel et de l'autre, on a le temps qui presse. On est face à un mythe décolonial qui doit disparaître et on n'a pas le temps d'attendre qu'on nous laisse le temps.
Mpoma : Il faut se placer dans un dialogue avec la société qui soit suffisament radical pour faire bouger les lignes. Pour nous et pour nos enfants.
Nsengiyumva : Pour nos enfants et pour l'équilibre du monde car le néoconialisme continue. Les luttes contre le réchauffement climatique et le racisme convergent. Derrière l'impérialisme qui détruit le Congo, se cachent les mêmes entreprises, belges de surcroît.
Mpoma : La pire ironie dans toute ça, c'est que des enfants congolais vivent l'enfer sur Terre pour extraire le coltan qui va faire tourner les voitures électriques.
Nsengiyumva : Les gens ne voient pas la négrophobie dans tout ça. Black lives really matter.

Je ne cours pas après la reconnaissance d'un Prix de la Critique. Que peuvent-ils dire sur mon expérience ?

Laura Nsengiyumva

La question de l'engagement fait-elle l'objet de beaucoup de débats au sein de la jeune scène artistique afrodescendante ? Sachant qu'un artiste noir n'est pas forcé de produire une œuvre engagée.
Nsengiyumva : Je suis d'avis que notre présence au sein de la scène artistique est déjà radicale. Même si on se contentait de dire "fleur fleur fleur fleur" (rires), on serait encore radical.

En septembre, l'actrice Priscilla Adade profitait de la cérémonie des Prix de la Critique au Théâtre National pour dénoncer le manque criant d'artistes non-blancs dans le milieu des arts de la scène, notamment aux postes de metteur.e en scène et à la direction artistique.
Nsengiyumva : Je suis contente que les voix se lèvent du côté du théâtre pour dénoncer le manque de visibilité des artistes noirs. Ceci dit, il y a toute une production d'afrodescendants, du Nord comme du Sud, qui parlent d'eux-mêmes sur les réseaux sociaux. Ils existent mais ils ne sont pas institutionnalisés. Je suis d'avis de décentraliser tout à fait cet art. De la même manière que je ne cours pas après la reconnaissance d'un Prix de la Critique. Que peuvent-ils dire sur mon expérience ?

Quel souhait aimeriez-vous adresser à Mère Noël ou à Queen Nikkolah pour 2020 ?
Mpoma : Mon souhait est que les femmes noires, afrodescendantes, de ce pays puissent exister et prendre leur place dans toutes les couches de la société à travers des réalisations artistiques et des recherches dans les universités. On n'attend pas le soutien des pouvoirs publics mais s'ils arrivent, tant mieux.
Nsengiyumva : On est la couche de la société la plus diplomée de Belgique, on regorge de compétences. Mon souhait pour 2020, c'est qu'il y ait encore plus de Queen Nikkolah. C'est un petit rêve, mais j'en ai de beaucoup plus grands comme la restitution des artefacts africains (rires). Le rêve de Queen Nikkolah serait d'aller les chercher là où ils se trouvent, de les mettre dans ma hotte et de les ramener au Congo.

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