Sentiments fracturés et cœur en lambeaux, Iliona dévoile la rétrospective de sa rupture amoureuse à travers les mélodies d’un premier album rédempteur. Nouvelle égérie de la chanson française, la Bruxelloise transcende sa mélancolie dans l’épure et la distinction. « Je me raconte volontiers des histoires. »
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Daniil Zozulya
Comme au cinéma, un drame romantique peut aussi accoucher d’un chef-d’œuvre en musique. What if I break up with u ?, le premier album d’Iliona, rebat ainsi les cartes à jouer de la chanson française par le prisme d’une confession intime truffée de minimalisme et d’arrangements méticuleux. Héritière de Françoise Hardy, compatriote de Stromae et contemporaine de Billie Eilish, la Bruxelloise sublime ses désillusions dans un disque bercé de piano et de bonnes résolutions. Déterminée comme jamais, consciente de ses erreurs et de ses errances, la chanteuse prend son destin en main.
Compositrice, parolière, productrice et réalisatrice de ses propres clips, Iliona est désormais la gestionnaire de sa petite entreprise : une société discographique spécialisée dans la réparation des cœurs brisés. Lors de la « Semaine de la Musique Belge », le rappeur bruxellois Primero (L’Or du Commun) a déclaré sur une chaîne du service public que vous étiez, à ses yeux, l’artiste la plus inspirante du moment. Êtes-vous consciente d’être une source d’inspiration ?
ILIONA : Pas du tout. J’ai déjà beaucoup de mal à réaliser que des gens puissent écouter ma musique. Alors, quand ce sont des artistes qui se fendent de telles déclarations, ça m’étonne d’autant plus. Je suis vraiment touchée par les propos de Primero... D’autant qu’à une période de ma vie, j’écoutais L’Or du Commun en boucle.
Les rappeurs vous sollicitent-ils régulièrement en vue d’enregistrer un duo en votre compagnie ?
ILIONA : Oui, très souvent. Mais je refuse tout en bloc. Avant de faire des collaborations avec d’autres artistes, je souhaite maîtriser mon sujet, appréhender mes forces et mes faiblesses, comprendre ma musique et aller jusqu’au bout des choses. Cela implique de travailler en vase clos. Je dois d’abord développer mon univers avant de partir à la rencontre des autres.
Vous chantez en français, le public vous identifie comme une artiste francophone. Pourtant, votre premier album s’intitule What if I break up with u ?. Pourquoi avoir choisi ce titre en anglais ?
ILIONA : Ce choix est assez générationnel. J’ai grandi avec internet. Sur le web, il est fréquent d’incorporer de l’anglais dans une discussion en français. « What if I break up with u ?» est une phrase qui me trottait dans la tête juste avant d’entamer l’écriture du disque. Assez vite, je me suis dit que ça ferait un bon titre. Cette phrase sonne mieux en anglais. En français, c’est difficile de la traduire littéralement. Quand bien même, « Et si je rompais avec toi ? » ça aurait été trop premier degré... À l’arrivée, j’ai l’impression que toutes les chansons de l’album répondent à la question posée dans le titre. Ce disque est la chronologie de l’année qui a suivi une rupture sentimentale...
« Avant de signer des collaborations, je souhaite comprendre ma musique »
Votre nom a déjà été rapproché de celui de Françoise Hardy. Si on se penche sur la charnière 1967-68, le parallèle se prolonge un peu plus encore. Durant cette période, la chanteuse française a enregistré trois albums : Ma Jeunesse Fout Le Camp..., En anglais et Comment Te Dire Adieu ?. Vous présenter comme la Françoise Hardy de la génération Z, ce serait exagérer ?
ILIONA : Ce serait beaucoup d’honneur. Françoise Hardy est une artiste qui m’inspire. Déjà parce qu’elle a eu une carrière extrêmement longue. Ensuite, elle a toujours composé et écrit ses textes. Ce qui était assez rare pour l’époque. Elle revendiquait d’ailleurs ouvertement cette aptitude. À bien des égards, je me reconnais aussi dans son personnage : Françoise Hardy était timide en public, et pas très à l’aise sur scène. Elle détestait avoir l’attention sur elle. J’ai beaucoup d’empathie pour tout ça. Durant mon adolescence, j’ai beaucoup écouté ses disques, comme ceux de France Gall et de Barbara. Ce sont les premières femmes que j’ai écouté en français, et j’ai adoré. En termes d’écriture, ces chanteuses m’ont ouvert l’esprit. Au même moment, j’ai découvert Les leçons de Stromae. En regardant ces tutos sur YouTube, j’ai compris qu’il était possible de produire de la musique chez soi, à l’aide d’un piano et d’un ordi.
Pour bien comprendre votre premier album, il est essentiel de commencer par la fin. Le disque s’achève sur ‘23’, une chanson dans laquelle vous révélez quelques secrets. À commencer par un échec professionnel. Quels conseils donneriez-vous aux artistes bruxellois·e·s qui débutent dans le métier ?
ILIONA : D’abord, il ne faut rien signer à la hâte. Il faut évaluer ses besoins et établir sa stratégie personnelle. Les labels font croire aux artistes qu’ils ont besoin de leurs services. Alors que, dans les faits, c’est l’inverse. Les grands labels ont besoin de nous. Sans les artistes, ces sociétés ne sont rien. Commencer une carrière musicale, c’est s’aventurer en terre inconnue. L’industrie musicale reste un milieu opaque. Quand on commence, il est très difficile de comprendre ce qu’on signe, ce qu’on accepte, et dans quelles conditions. Il n’est pas rare d’être coincé dans un cadre professionnel contraignant. Et puis, surtout, à la signature, les artistes sont souvent dépossédés des droits de leurs chansons. Pour sortir mon album, j’ai choisi de créer ma propre structure : un label qui s’appelle Jevousamour. J’en tire une certaine fierté. C’est grisant d’assurer l’écriture, la composition et la production des chansons, tout en gérant les aspects administratifs qui interviennent dans la sortie d’un disque.
Dans ‘23’, on apprend aussi que vous n’avez pas envie d’être connue. Cette volonté est en contradiction avec les logiques de votre métier. Qu’est-ce qui vous pousse à continuer ?
ILIONA : Le paradoxe est celui-ci : j’ai très envie que ma musique soit connue du grand public. Mais à titre personnel, la popularité me rebute. C’est pour cette raison que ma présence sur les réseaux sociaux est limitée, et que mes sorties médiatiques sont ponctuelles. En revanche, dans le processus créatif, je me sens à l’aise. La musique est le seul endroit où je ne suis pas pudique. Dans mes chansons, j’exprime librement mes pensées et tous les sentiments qui m’animent dans la vie privée.
Angèle a aussi chanté cette défiance face à la célébrité dans un morceau comme ‘Flou’ (« Les gens t’aiment pas pour de vrai. Tout le monde te trouve géniale alors que t’as rien fait. »). En France, certains médias vous ont annoncée comme « la nouvelle Angèle ». Vous subissez encore cette comparaison ?
ILIONA : Oui, ça arrive. Mais le rapprochement me paraît disproportionné... Notre rapport à la popularité est sans commune mesure. Ce qui est amusant, c’est que ‘Flou’ est ma chanson préférée du répertoire d’Angèle. Par rapport à elle, je n’ai pas du tout l’impression d’être connue. D’ailleurs, quand une personne m’interpelle dans la rue, j’ai toujours l’impression qu’elle va me demander l’heure. Je ne pige jamais ce qui se passe quand on me sollicite pour une petite photo ou un autographe.
Aujourd’hui, vous vivez à Bruxelles ou à Paris ?
ILIONA : J’habite en Belgique, mais je me déplace régulièrement à Paris pour le boulot. Bruxelles, c’est la maison. C’est mon cocon. C’est là où j’ai composé mes chansons. À Paris, je séjourne à la petite semaine, en trouvant des plans chez des potes.

Iliona exorcise ses démons sur un premier album: « Ce disque est la chronologie de l’année qui a suivi une rupture sentimentale... ».
Dans le dernier morceau de l’album, vous précisez encore : « Je me fais pitié dans mes sons... » Souffririez-vous du syndrome de l’imposteur ?
ILIONA : Quand je compose mes chansons, je ne remets pas du tout en question mes compétences... Parce que c’est un exercice solitaire, une bulle personnelle. En revanche, dès qu’il s’agit de faire bonne figure à l’extérieur, je me déconsidère très facilement. Je suis assez dure envers moi-même. J’essaie de soigner cette forme d’autodépréciation, mais à partir du moment où ‘23’ se voulait 100 % honnête, je me devais de chanter cet état d’âme qui me hante régulièrement. Pour ça, la musique m’aide énormément : il n’y a que dans mes chansons que je parviens à me décharger de toute cette pression psychologique.
Un des morceaux de l’album s’appelle ‘Fishsticks’. Il paraît que c’est votre plat préféré. C’est toujours le cas ?
ILIONA : J’ai arrêté de manger de la viande et du poisson. Donc, plus de fishsticks pour moi ! Mais compote-purée-fishticks, ça restera à jamais le plat-réconfort de mon enfance. Dans cette chanson, j’aborde des sujets sur lesquels je me sentais extrêmement vulnérable. J’avais besoin de me sentir protégée, comme à l’époque où je vivais chez mes parents, dans l’insouciance de l’enfance.
Ce premier album donne souvent l’impression que vous vous situez à un embranchement, au croisement de votre jeunesse et d’un futur en question. Vous sentez-vous adulte ?
ILIONA : Depuis peu, je me sens adulte sur de nombreux sujets. Ça me fait du bien, parce que l’entre-deux était vraiment inconfortable. Cela étant, devenir adulte, c’est aussi reconnaître sa part d’enfance. Petite, je voulais à tout prix être une grande personne. Mais je n’avais ni les codes ni les clés de compréhension pour entrer dans l’univers des adultes. Maintenant que j’y suis, je réalise que mon imaginaire reste très attaché au monde des enfants. Quand je produis un clip, par exemple, je me raconte volontiers des histoires, comme quand j’étais petite. Mon album s’ouvre d’ailleurs sur ‘Welcome’, une plage instrumentale qui, sous certains aspects, peut évoquer le générique d’un Walt Disney.
Sur la pochette de l’album, une main inquiétante est en train de vous peigner. À qui appartient-elle ?
ILIONA : J’ai dessiné cette main avant d’organiser la séance photo. Je voulais que ce soit celle d’un monstre. Elle représente des situations d’emprise. Paradoxalement, cette main me peigne avec soin, via un geste plein de tendresse. L’image est volontairement ambiguë. Parce qu’elle témoigne de situations complexes. Cette main incarne une part d’ombre, des idées noires, desquelles j’essaie de me défaire. L’image qui se trouve sur la pochette explore, une fois encore, l’imagerie des contes de mon enfance. Preuve qu’on ne se refait pas !
What if I break up with u? Sortie 14/3, shop.iliona.be
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