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Ivan Put

| Sousou

Interview

Sousou, stand-uppeur et drari sans concessions

Sophie Soukias
© BRUZZ
24/05/2024

Abonné aux meilleures scènes de stand-up, Sousou confirme son statut de drari le plus drôle (et peut-être le plus controversé) de la capitale. À l'occasion du festival itinérant We Buildt This, il présentera au Zinnema son show irrévérencieux, « déconseillé aux enfants et aux gens coincé.e.s ».

Peu d'artistes vous diront qu'ils sont entrés dans le métier parce qu'on les y a forcés. C'est pourtant le cas de Souhail alias Sousou. Originaire de la Marolle, il grandit à Anderlecht, un « Bruxelles dans Bruxelles » auquel il voue un amour inconditionnel: « Mon parcours scolaire chaotique m'a baladé dans tous les quartiers de la ville mais je ne me vois pas quitter ma commune.»

Adolescent rebelle dont les débordements lui valent de se frotter à la justice, Sousou doit convaincre le Tribunal de la jeunesse de sa ferme intention de réintégrer la société. C'est le théâtre qui servira de justificatif. Avant de lui donner des ailes. Biberonné aux stand-ups du Franco-Marocain Mustapha El Atrassi, Sousou se met à imaginer un show où il pourrait être lui-même, sans concessions. Lui, un drari d'Anderlecht qu'on ne veut surtout pas voir et encore moins entendre.

Le rêve devient réalité. Après avoir tourné avec son spectacle Drari dans les clubs de stand-up de la capitale, Sousou montera sur les planches du Zinnema à l'occasion de We Buildt This, un nouveau festival nomade (ayant fait escale dans plusieurs villes de Flandre) dont il a assuré la curation avec l'écrivaine, activiste et entrepreneuse Rachida Aziz. Rencontre – joyeusement interrompue par de nombreux passants saluant Sousou – sur un banc du parc Rauter à Anderlecht.

Tout le monde vous connaît dans le quartier ?
Sousou : Oui, et on m'appelle Sousou la Friterie (rires). En plus d'avoir grandi ici, j'ai mené un projet associatif il y a deux ans dans le parking en contrebas du parc Rauter. Le but était de préparer les habitant.e.s du quartier à la transformation du parking en place publique. Comme je n'avais pas de local, j'ai récupéré la baraque à frites de la place Sainte-Anne pour en faire le QG d'activités artistiques et de cohésion sociale.

Depuis, vous avez troqué votre tablier d'animateur pour celui de stand-uppeur.
Sousou : Je me suis éloigné de ma vocation sociale parce qu'on me faisait ressentir que je posais trop de questions. Je me battais pour mon quartier mais j'avais le sentiment qu'au niveau des instances politiques, les changements n'étaient qu'apparences. Par exemple, cela faisait dix ans qu'on nous promettait de rénover le terrain de foot de la place. Ce n'est que lorsqu'on a fini par s'y mettre nous-mêmes que la rénovation officielle a été lancée, pour un résultat final assez décevant. Pareil pour les nouvelles balançoires qui ont dû être retirées car leur structure, trop lourde et mal pensée, a causé des accidents. C'est ce genre de déceptions qui m'ont conforté dans l'idée que ma voie se trouvait davantage dans le stand-up.

Votre succès dans les clubs d'humoristes confirme cette intuition.
Sousou : Je pense que ça marche parce que j'incarne cette identité bruxelloise que les artistes qui percent à l'étranger finissent par abandonner. Que ce soit le stand-up ou la musique, on est vite transféré vers la France. Du coup, cette vibe bruxelloise est absente des plateaux. Pour ma part, je refuse de m'adapter au nom du succès, et ça plaît.

Vous ne cherchez pas à être politiquement correct. « Les blancs », « les arabes », tout le monde en prend pour son grade. Le franc-parler est la signature de Sousou.
Sousou : Je n'ai pas peur de choquer. Je représente tout ce dont le milieu institutionnel à horreur, à savoir les gens qui ne se plient pas au mouvement de l'art. Ayant été très jeune en contact avec le milieu scénique, j'ai pu prendre conscience des concessions qu'on nous demandait de faire à nous, artistes racisés et issus de l'immigration, pour tourner dans des festivals comme Avignon. Déjà à l'époque, je remettais le système en question. Mon franc-parler faisait de moi « la bête noire de la bête noire ».

Mettre en lumière les Bruxellois.es qui font l'identité de la ville mais qui échappent au radar des institutions, c'est la philosophie derrière le festival We Buildt This ?
Sousou : Avec ce festival, dont je partage la curation avec Rachida Aziz, on propose de la danse, du théâtre, des débats et de la fête, dans le but de faire accepter nos identités au monde. Plutôt que d'accepter que le monde nous formate. La culture drari que j'incarne dans mes spectacles est une culture invisibilisée dont on ne veut pas, si ce n'est sous une forme édulcorée et policée. Si je ne fais pas vivre la culture drari moi-même sur scène, on ne viendra pas me chercher.

Qu'est-ce qui fait de vous un drari ?
Sousou : « Drari », c'est un état d'esprit qui vient à l'origine des quartiers populaires de Bruxelles qu'on a l'habitude d'appeler « difficiles ». On associe le drarisme à une culture jeune, bruxelloise et d'origine maghrébine. Tu es un drari quand tu t'es déjà fait contrôler par la police. Quand tu as les cheveux rasés en dégradé, que tu portes une casquette Gucci et un survet'. Quand tu fumes de la beu. Mais il faut reconnaître qu'aujourd'hui, le drarisme n'a plus de couleur, je le retrouve dans des identités très différentes de la mienne. Le concept s'est exporté en France et au-delà pour représenter essentiellement un état d'esprit de résistance. Le drari s'oppose aux injonctions mais d'une manière insolente et moqueuse. L'humour est dans notre ADN, ce qui fonctionne très bien en stand-up. Sans parler de l'argot drari qui est parlé par toute la jeunesse bruxelloise.

La street culture n'a jamais été aussi tendance. Un succès à double tranchant ?
Sousou : Il y a un vrai effet de mode. Le drari n'a jamais autant attiré. C'est positif car des voix commencent à être entendues et prises au sérieux. En contrepartie, on observe une forme d'appropriation culturelle où des gens se revendiquent des quartiers et tirent une certaine reconnaissance qu'ils n'ont pas méritée. Mais on ne peut pas vraiment lutter contre ce phénomène.

Est-ce qu'un humoriste qui ne vient pas des quartiers peut rire des draris ?
Sousou : Bien sûr. J'ai l'intime conviction qu'on peut rire de tout avec tout le monde, et de tout le monde. Tout est une question d'intention. En dehors des intentions malsaines comme le racisme, le genrisme ou le sexime, il n'y a aucune limite au rire.

SOUSOU: DRARI 25/5, 19.30, Zinnema,

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